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Pourquoi un séjour à l'hôpital était ce dont j'avais besoin - et peut-être que vous aussi

Illustration: Tony H.

Introduction

 

 

La clinique, l’hôpital… On trouve facilement des témoignages de jeunes filles sur ces lieux, dans lesquels elles ne sont p·as rentrées de leur plein gré, bien souvent : Valérie Valère (Le Pavillon des Enfants Fous), Geneviève Brisac (Petite), … Ces deux livres en particulier proposent de fantastiques témoignages d’anorexiques, dans toute leur rage et leur désespoir, mais à mon avis une appréciation limitée de ce que peut être un séjour en hôpital ou en clinique. Tout d’abord en raison de leur âge : Dieu merci, on ne reste pas adolescent·e à jamais, et autant il est intéressant d’avoir un point de vue d’adolescent·e sur la maladie, autant chacun grandit et mûrit, et aborde différemment les troubles psychiatriques, avec, pour ceux qui ont de la chance, plus de sérénité. Ensuite, ces témoignages sont datés : la psychiatrie n’est plus pratiquée telle qu’elle est décrite dans ces livres (et il est probable que ceux·celles qui ont fait un séjour en institution au cours de notre décennie seront agréablement surpris par les progrès de la psychiatrie dans les 20 ou 30 prochaines années). Quelques mots pour introduire mon propos et présenter ma démarche : raconter brièvement mon expérience de jeune femme en institution (un séjour de 3 mois à 24 ans et un deuxième de la même durée à 25 ans) et essayer (humblement) de proposer un contrepoint à des témoignages très durs et critiques du milieu hospitalier et institutionnel.

 

Mon but est de dédramatiser ces passages en institution et peut-être de lever certaines peurs qui peuvent exister à ce sujet.

 

Ces jeunes femmes qui crient leur colère d’être enfermées, je les connais, ce sont mes sœurs de souffrance. Pourtant je vais peut-être en étonner certains en disant que je les envie, ces enfants guéries de force et dans la douleur. J’aurais aimé être à leur place, et qu’on m’oblige moi aussi à aller mieux (malgré moi et la rage froide mise à me détruire minutieusement) bien avant mon premier séjour dans une clinique lacanienne de la région parisienne à l’âge de 24 ans. On ne réécrit bien sûr pas le passé, mais je me dis que, peut-être, une intervention musclée avant mes 24 ans m’aurait permis de me rétablir bien avant, et m’aurait évité certaines peines.

 

Cet article présentera de la façon le plus neutre et détachée possible une expérience de différentes maladies mentales et un parcours de soins incluant des séjours en milieu hospitalier, les miens. Si certain·e·s parmi vous pensent que la lecture d’un tel récit peut engendrer chez eux·elles des sentiments de détresse, je vous suggère de vous tenir à la lecture de la conclusion. Je parlerai dans les 3 autres parties de troubles du comportement alimentaire, de dépression et d’addiction à l’alcool.

 

 

Brièvement, un contexte

 

 

Sans vous proposer une description par le menu de ma santé mentale, il me semble important de vous offrir quelques éléments de contexte au sujet de mes pathologies et de mon parcours de soins, afin que vous puissiez situer la place des hospitalisations dans ce dernier.

 

L’année de mes 13 ans, après une période très difficile de harcèlement scolaire que je garde secret, et des années d’une dépréciation de mon corps et de mon esprit qui devient très clairement du dégoût, je tombe tête la première dans les troubles du comportement alimentaire (TCA). Anorexie, vomissements, boulimie et évidemment mal-être sont mes plus proches compagnons des 12 prochaines années.

 

Moi qui pense maîtriser la situation au départ, je me rends très vite compte que j’ai perdu tout contrôle, et c’est avec une jouissance morbide que je m’enfonce dans une maladie qui ronge, qui corrompt tout autour d’elle, et qui m’enferme dans ma propre tête malade.

 

J’ai la chance d’être une élève brillante, et de souffrir d’un besoin existentiel de performance, ainsi que d’un désir impérieux de cultiver mon intellect. Sur ces 12 ans de TCA, je fais d’excellentes études, je décroche un travail prestigieux, et surtout je m’ouvre petit à petit aux autres, et je crée de belles et sincères amitiés. Je garde toutefois sous silence mes souffrances, par peur, par orgueil, et par honte. Ma santé se détériore, mes dents sont abîmées, je risque une crise cardiaque, je m’évanouis face à l’effort, mon indice de masse corporelle dit que je suis dans la famine. Je commence à voir une psychologue que j’apprécie à 18 ans, après 2 essais infructueux avec d’autres thérapeutes, elle me suivra pendant les 5 prochaines années. A 24 ans, on me parle de « douleur d’exister », j’ai enfin des mots à mettre sur ce que je ressens.

 

Après 11 ans où les TCA suivent mes moindres pas, ma tête me joue un nouveau tour : je commence à me sentir de plus en plus vide, de plus en plus impuissante face à mes angoisses, de plus en plus fatiguée. Je commence en fait à glisser sans trop m’en rendre compte dans la dépression clinique.

 

Une façon assez simpliste de décrire la dépression serait de dire que ma vie était au départ un film en couleur dans lequel je jouais le rôle principal, et est devenue progressivement un film en noir et blanc où je n’apparaissais que quelques minutes, puis un film muet dont j’étais simple spectatrice, puis la neige sur un écran.

 

Je commence à voir une psychiatre qui me demande d’abandonner mes séances avec ma psychologue bien aimée qui me rassure et me réconforte chaque semaine depuis 5 ans. Je m’exécute. On me prescrit des anti-dépresseurs que je prends d’abord religieusement, puis petit à petit quand je n’oublie pas. Je dors beaucoup, tout m’est indifférent. Je m’oublie.

 

En parallèle, moi qui avais toujours eu une bonne descente quand l’alcool était concerné, je me retrouve à boire de plus en plus, d’abord avec les autres, et puis rapidement toute seule, puis en cachette, à des heures de moins en moins compréhensibles. Je prends des risques. Les réveils sont de plus en plus durs, je ne me souviens plus de rien et je reconstitue difficilement mes soirées à l’aide de mon téléphone. Je pratique activement la disparition, je me retrouve sans savoir comment à des kilomètres de chez moi, je m’endors devant mes toilettes, je vomis à 7h30 avant d’aller travailler, je ne peux plus passer une journée sans boire. Les bouteilles s’empilent dans mon appartement, je ne fais plus le ménage, mes proches ne me reconnaissent plus et se font du souci, je nie tout malgré l’évidence, et pourtant je reconnais très bien cette perte de contrôle grisante et mortifère qui fait écho à mes TCA. Ma famille, ma colocataire, mes amis, ma psychiatre essayent de me faire avouer que je suis ivre quand je les vois, je refuse d’admettre quoi que ce soit, bien que l’odeur d’alcool et mes gestes plus qu’hésitants me trahissent. Je mens constamment et à tout le monde.

 

J’ai l’impression que quelque chose d’énorme et de terrible se profile, un cataclysme auquel je ne peux échapper.

 

J’ai peur, je suis malheureuse et impuissante, je bois encore plus.

 

Elément perturbateur : après une dégringolade de plusieurs mois dans la bouteille, j’arrive à une fête de famille ivre, n’ayant pas pris de douche, mangé, changé mes vêtements ou dormi depuis 4 jours. Mes parents paniquent, me jettent dans la voiture, nous passons à mon appartement mettre quelques affaires dans une valise, ils m’installent chez eux après avoir mis tout l’alcool sous clé. Je ne quitte pas le domicile familial pendant le mois qui suit. Je suis très énervée. Mes parents et ma psychiatre me disent d’aller en clinique, j’accepterais tout pourvu que je puisse sortir de cette maison où j’étouffe. Me voilà dans une salle d’une clinique de banlieue parisienne à expliquer à un médecin ce que je fais là et pourquoi on veut m’hospitaliser. Bien entendu, je tords la réalité et je ne peux pas m’empêcher de mêler des mensonges à mes propos. Je n’en peux plus, plus rien n’a de sens, je suis en colère contre le monde et contre moi-même, j’aimerais me battre, mais je ne sais pas contre quoi. J’ai 24 ans depuis 3 jours.

 

 

La clinique, 1er round

 

 

Après m’avoir fait signer des papiers que je lis à peine, on m’installe dans une jolie chambre individuelle où on fouille minutieusement ma valise et mon sac. Les repas sont apportés en chambre, les médicaments sont dispensés par des infirmier·e·s devant lesquels ont doit les avaler, on prend ma tension et ma température à 8h30 tous les matins. On me pèse, on me prélève du sang pour des analyses, on me met des électrodes pour un électrocardiogramme. J’aurai accès si je le souhaite à un kinésithérapeute et une addictologue. 4 jours sur 5, dans la matinée, un psychiatre, le Dr. L., vient dans ma chambre s’entretenir avec moi (le 5e jour, un·e psychiatre de la clinique le remplace, et le week-end, les visites sont assurées par des psychiatres de garde).

La première semaine, je n’ai pas le droit de sortir de l’enceinte de la clinique, mais on m’a laissé mon téléphone et mon nécessaire de broderie avec des ciseaux très tranchants après avoir évalué que je ne risquais pas de m’en servir pour me faire du mal ou nuire à d’autres. J’ai prévu une cartouche de cigarettes, la clinique n’impose pas de supervision à ceux qui veulent sortir fumer. Je suis libre, tant que je ne quitte pas le bâtiment et son petit parc. Les conditions d’internement ne sont pas les mêmes en hôpital, où je n’aurais sûrement pas pu garder mes ciseaux, voire mon téléphone, et où j’aurais probablement été surveillée quand je serais sortie fumer.

 

Tout le personnel est très prévenant et amical, je n’ai pas envie de me battre contre des gens qui font leur travail et qui le prennent à cœur, et j’ai conscience que le problème vient de moi. Seule activité à part la broderie et la lecture (la connexion internet est mauvaise, je ne peux pas passer ma journée devant mon ordinateur), descendre au salon et discuter avec les autres patient·e·es. Je repense à une phrase que j’ai entendue à propos des services de psychiatrie : « les vrais gens sont à l’intérieur ».

 

Je reconnais tout de suite ma tribu des amochés de la vie, dépressifs, suicidaires, bipolaires, addicts à tout et n’importe quoi, qui ont comme moi touché le fond.

 

Une différence fondamentale entre la clinique et l’hôpital : presque tout le monde est là de son plein gré, les patients sont autonomes, les affections les plus graves qui coupent complètement les malades du réel ne sont pas soignées ici. Tous les patient·e·s sont là pour une raison, nous n’avons pas à chercher des excuses ou à tenter de prétendre que tout va bien dans notre tête : chacun parle librement de ses troubles, de ses symptômes, de son traitement et de ses effets. Ils·elles sont très peu à être remontés contre l’institution ou la vie en général, ils·elles ont accepté qu’ils étaient malades et qu’ils·elles avaient besoin d’être aidés et protégés. Nous guettons tous nos émotions, il n’est pas rare que quelqu’un pleure en racontant son histoire. Ceux·celles qui ont le droit de sortir ramènent des gâteaux secs que nous grignotons toute la journée, presque tout le monde fume, et beaucoup trop. Les névrosé·e·s s’épaulent entre eux, des amitiés qui dureront le temps de l’hospitalisation se nouent dans les fauteuils fatigués de ce salon. A 22h30, tout le monde remonte dans sa chambre. Pendant la journée, les patients de l’hôpital de jour nous rejoignent. Ils·elles rentrent chez eux le soir, et participent à diverses activités entre 9h et 18h : méditation, sophrologie, art-thérapie, groupe de parole, etc, qui nous sont aussi ouvertes.

 

On me laisse sortir, d’abord sous la supervision d’un·e autre patient·e, puis toute seule. Je rentre chez moi pour des permissions, je bois, j’essaye de le cacher, je fais semblant de m’étonner quand les éthylotests que me fait passer la clinique sont positifs. On me dit d’aller à la réunion des Alcooliques Anonymes du mardi soir qui a lieu dans un bâtiment de la clinique. J’écoute ces dépendants de la bouteille, je me reconnais dans leurs témoignages, mais je ne pense pas que le programme soit pour moi. Je refuse, par peur et par orgueil, de faire leur première étape, admettre que je suis impuissante face à l’alcool et que j’ai perdu la maîtrise de ma vie. Après 1 mois à rester sur mes gardes avec mon psychiatre, le Dr. L, et à mentir pour cacher l’étendue de mes troubles, on me laisse rentrer chez moi pour de bon. Au premier rendez-vous avec ma psychiatre de ville, je titube et je sens l’alcool. Elle appelle mes parents en violant le secret professionnel, ils me proposent un ultimatum : retourner à la clinique de mon plein gré ou être internée de force dans un hôpital parisien. L’hôpital ne me tente pas. Une semaine après ma sortie, je suis de retour, très en colère contre ma famille, ma psychiatre et surtout moi-même. Je resterai encore deux mois.

 

Au cours de ces deux mois, je dépose petit à petit les armes. J’apprécie beaucoup mes consultations avec le Dr. L, qui est incisif, redoutablement perspicace, qui trouve toujours « le mot qui tue », qui me pousse dans mes retranchements et me cloue le bec, ce dont j’ai bien besoin. Petit à petit, j’ai envie et je parviens à dire enfin la vérité (pas toute la vérité, attendez la suite). Nous organisons quelques consultations durant lesquelles mes parents sont présents et le Dr. L joue le rôle de médiateur. Pour la première fois depuis plus de 10 ans, nous parlons enfin de ce qui va mal, mes parents confient leur désarroi et leurs peurs, je parle de ma souffrance. Le dialogue est rétabli, je ressens un immense soulagement. Je participe aux activités de l’hôpital de jour et aux réunions des Alcooliques Anonymes, je suis plus calme, je fonctionne mieux. Je continue à boire en cachette, quelques éthylotests reviennent positifs, je ne parviens toujours pas à parler aux infirmier·e·s de ce qui m’arrive. Mes problèmes restent chasse gardée.

Après 8 semaines, je rentre chez moi une deuxième fois. Avec les autres patient·e·s, nous organisons mon pot de départ. J’ai promis d’aller à des réunions AA sur Paris, le Dr. L accepte de devenir mon psychiatre de ville, j’irai le voir toutes les 3 semaines, et j’irai tous les lundis à l’hôpital de jour pendant 4 mois. Je m’y ennuie, mais je fais avec. Mes parents sont tellement terrifiés par l’idée d’une rechute que cela me semble un faible prix à payer pour les rassurer.

 

 

La clinique, 2è round

 

 

Chez moi, les premiers mois se passent plutôt bien. J’arrive à gérer le quotidien, je ne bois pas tous les soirs, je vois des amis, je réapprends à vivre. Surtout, j’arrive plus aisément à parler de ce qui ne va pas, à admettre que j’ai besoin d’aide, à prendre conscience que j’ai des limites. Je suis toujours très fatiguée, je dors beaucoup, les médicaments m’ont fait prendre plus de 18kgs et je me trouve affreuse et difforme. Je commence très vite à consulter un psychiatre spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire, le Dr. A. J’ai arrêté de me faire vomir à la clinique, je n’ai plus de pulsions boulimiques, et à quoi bon me faire souffrir puisque mon traitement m’empêche de perdre du poids ? J’ai perdu cette bataille pour la maigreur, j’apprends à réapprivoiser la nourriture petit à petit. Je vais à quelques réunions des AA, j’achète un de leurs livres, et puis je trouve des excuses, d’autres obligations… J’arrête complètement de m’y rendre.

 

Près de 10 mois après ma sortie de la clinique, je me sens frustrée, mécontente, malheureuse. Je recommence à boire, d’abord un verre tous les soirs, puis deux, puis trois, et en quelques semaines je dégringole et j’en suis à boire avant d’aller au travail.

 

Je sens bien que je suis complètement perdue, je repense constamment à la clinique, je ressens un besoin impérieux d’être protégée, mise à l’abri de moi-même.

 

Un jour, mon supérieur me convoque dans son bureau, il me trouve erratique depuis quelques semaines. J’ai tellement honte que je pense à avaler tous mes médicaments avec de l’alcool sitôt rentrée chez moi. L’envie passe très vite. Le lendemain matin, j’appelle le Dr. L, je lui dis que j’ai besoin de revenir tout de suite. 2 jours après, me voilà de retour à la clinique avec la bénédiction de mes parents qui sont décidément très bienveillants. Je reconnais les infirmier·e·s, et même quelques patients qui ont comme moi rechuté. Je me sens chez moi.

 

Les premières semaines, je n’arrive pas à m’en empêcher, je bois. On me donne du Valium pour éviter un syndrome de manque, ce à quoi je n’avais pas eu droit lors de mon premier séjour puisque j’étais « sèche ». Je cache des bouteilles dans ma chambre, puis dans un thermos noir, tous mes éthylotests reviennent positifs. Je passe Noël à la clinique, je ne sais pas comment admettre que je fais n’importe quoi, j’ai envie de parler aux infirmier·e·s qui m’y encouragent, je n’y arrive pas.

 

Le soir du Nouvel An, j’ai droit à une permission pour aller au Réveillon des Alcooliques Anonymes dans Paris, avec une amie du groupe qui se réunit à la clinique. Quand elle arrive chez moi, j’ai bu 3 verres de vin et je dors. Je finis par lui ouvrir la porte avec 1h de retard, je vais visiblement mal, mon visage est couvert de plaques rouges. Mes parents m’appellent, comprennent à ma voix que j’ai bu, ils commandent un taxi depuis leur lieu de vacances, retour à la clinique, je dors. Le lendemain est probablement le pire jour de ma vie. Devant le déjeuner du Nouvel An pris dans le réfectoire avec tous les autres patient·e·s, je prends conscience que mes maladies gâchent la vie de tous mes proches, et pas seulement la mienne, je me sens très coupable. Quelques jours après, j’achète ma dernière bouteille de vin. Après l’avoir finie, une infirmière déboule dans ma chambre : éthylotest surprise. Je la préviens qu’il sera positif, lui donne mon thermos, je n’ai plus envie de jouer à ce jeu. Elle est très douce, mais d’une rigueur à toute épreuve, je lui parle en toute honnêteté pour la première fois.

 

Je réalise à ce moment là que je ne peux pas me cacher derrière ma dépression pour excuser le fait que je boive, qu’il faut que je prenne mes responsabilités, que je suis malade et que je dois m’en sortir et pour cela demander de l’aide : un énorme soulagement. Je n’ai plus besoin de me battre seule.

 

Dans les semaines qui viennent, je fais mes premières étapes aux Alcooliques Anonymes, dont la plus importante : j’admets que pendant longtemps, l’alcool a été aux commandes de ma vie. Je ne bois plus, cela ne me manque pas, mais j’ai toujours droit à 3 éthylotests par jour. Je suis très fière quand ils reviennent négatifs, semaine après semaine. Je me sens de plus en plus apaisée, de plus en plus sereine. Je parle très librement avec tout le personnel, je ne m’arrête plus de parler, j’ai envie de partager ce changement que je ressens avec tout le monde. On m’a arrêté le médicament qui m’avait fait gonfler comme une baudruche, je fonds à vue d’œil. Sans trop comprendre ce qui m’arrive, je me rends compte que j’ai envie de vivre, plus de mourir à petit feu mais de vivre, et de vivre bien. Je décide que je serai heureuse envers et contre tout et après des années à me débattre, j’ai enfin la force de tenir cette promesse.

3 mois après mon admission, je quitte la clinique et retrouve mon appartement et mes chats. Dès le lendemain, je suis en réunion Alcooliques Anonymes à 20 minutes de chez moi.

 

 

Conclusion : la clinique, pour qui ?

 

 

En conclusion, j’aimerais faire passer un message simple, mais ô combien difficile à appliquer : ce n’est pas grave d’avoir besoin d’aide, et c’est une force que de savoir en demander. Il n’y a pas de compétition dans la maladie, pas de besoin d’avoir vécu le pire pour mériter d’être soutenu (et je parle ici d’un soutien et d’une aide professionnels, vous ne tenteriez pas de soigner l’hémophilie sans médecin et sur la base des conseils de vos amis). J’ai personnellement passé des années à avoir honte de mes maladies, à douter pouvoir jamais me rétablir, et à avoir peur de l’aide d’autrui. Je n’avais pas compris que les professionnels de santé ne jugent personne, ce n’est ni leur travail ni leurs valeurs. J’étais terrifiée avant de commencer les anti-dépresseurs, je voyais les institutions psychiatriques d’un air méfiant. Pour moi, un séjour en clinique ou à l’hôpital représentait une marque au fer rouge, car je pensais naïvement que l’on y retrouvait que les cas désespérés. Je pensais que ce n’était « pas pour moi », et j’avais le sentiment que l’hôpital était la fin du chemin, une admission de défaite, une preuve que la maladie avait gagné.

 

Je tiens donc à rappeler ici un détail qui est loin d’être insignifiant et que j’aurais aimé que l’on me précise avant mes 22 ans : les maladies mentales ne sont pas que des maladies de l’esprit, elles sont aussi des maladies du cerveau. Loin de moi l’idée de dire que tout se règle avec des médicaments, mais le simple fait qu’ils existent montre bien que par exemple la dépression a à voir avec un dérèglement de la sérotonine, et les addictions avec des dysfonctionnement du mécanisme de récompense de notre cerveau. La séparation entre maladie « mentale » et maladie « physique » n’est donc absolument pas un fait.

 

Par conséquent, répondre à la maladie mentale par des traitements médicamenteux et des hospitalisations n’est pas, sur le principe, très différent de prendre des médicaments ou d’aller à l’hôpital pour soigner le corps.

 

Pour ceux à qui l’idée de prendre un traitement fait peur, je tiens à rappeler qu’un·e bon médecin ne vous le prescrira pas (surtout s’il exige une ordonnance) sans justification et sans suivi. Si c’est le cas, considérez le fait de changer de médecin.

 

Un séjour à l’hôpital n’est alors justement pas une admission de défaite, une sentence, quelque chose de grave ou de négatif. Tout comme une hospitalisation ou un traitement médicamenteux pour une maladie physique ne sont pas une tare ! N’importe quel·le professionnel·le de santé vous dira que face à une situation qui dépasse les capacités de la médecine de ville, il faut envisager une prise en charge plus intensive et des traitements plus lourds. C’est la même chose avec la maladie mentale, et il n’y a pas à chercher plus loin.

 

Si votre maladie mentale vous empêche de fonctionner, que vous êtes dans l’impasse, que vous ne parvenez plus à garder la tête hors de l’eau, et que vous avez déjà un traitement médicamenteux et un suivi psychologique ou psychiatrique, un séjour en clinique ou à l’hôpital vous ferait probablement beaucoup de bien. De même si vous n’avez pas de traitement mais que vous sentez que vous ne pouvez pas continuer à vivre comme ça et que vous avez besoin d’être aidé·e tout de suite, radicalement et complètement.

 

Et si l’ensemble de la société n’est malheureusement pas de l’avis qu’une maladie mentale est une maladie comme les autres, vous êtes de toute façon couvert·e·s par le secret professionnel au niveau de votre employeur ou de votre école, etc. Je n’ai personnellement pas du tout honte de mes séjours en clinique, mais je n’ai pas non plus ressenti le besoin d’expliquer à tout le monde que j’avais été hospitalisée en clinique psychiatrique. J’ai tout simplement dit à mon employeur que j’étais « à l’hôpital » et ai envoyé mes bulletins d’hospitalisation aux ressources humaines, et personne ne m’a posé de questions (c’est même illégal pour l’employeur de le faire). Lors de mon 2è séjour, j’avais repris des études : personne à l’université ne m’a demandé pour quelle affliction j’avais passé plusieurs mois « à l’hôpital », ou n’a demandé à entrer dans les détails concernant ma santé. Les bulletins d’hospitalisation et des propos très vagues sur une « maladie chronique nécessitant des soins » ont largement suffi dans les deux cas (et en l’occurrence il ne s’agissait même pas d’un mensonge si l’on y réfléchit bien). Ceci vaut aussi pour tous les gens dans votre entourage auprès de qui vous n’avez pas envie de vous expliquer, parce que je pense qu’il est utile de rappeler une chose : vous ne devez d’explications détaillées à personne. Dans un monde idéal, la maladie mentale serait mise sur un pied d’égalité avec la maladie « physique », mais tant qu’elle ne l’est pas, un mensonge par omission peut vous protéger de ceux qui pourraient vous juger, ou simplement ne pas comprendre. Si vous n’en avez pas envie, vous n’avez absolument pas à utiliser votre énergie à faire comprendre ou à justifier votre maladie et vos soins.

 

Pour ceux·celles parmi vous qui souffrez, ou qui côtoyez des malades, voici le message à retenir : un séjour en clinique a l’avantage de proposer un environnement calme, sans pression aucune liée au quotidien, loin du travail, de la famille et de la société. Par ailleurs, il peut être un fantastique accélérateur de soins, puisque le malade voit quotidiennement son thérapeute, et est entouré de personnel soignant à l’écoute. Une hospitalisation permet aussi de commencer, changer ou moduler le traitement médicamenteux sous la surveillance immédiate de toute une équipe soignante, donc dans les meilleures conditions. De plus, un séjour représente une excellente opportunité de réflexion et de focalisation sur sa santé mentale. Je note toutefois plusieurs facteurs qui ont joué dans mon rétablissement, et qui ne sont pas des acquis universels :

 

1. Un excellent psychiatre que j’ai tout de suite eu envie d’écouter : on entend beaucoup d’histoires d’horreur sur les thérapeutes et les médecins. Je tiens justement à rappeler que si certain·e·s professionnel·le·s de santé peuvent être incompétents, ou même dangereux, ils·elles sont extrêmement loin de représenter la majorité ! La profession a des commissions de déontologie et des sanctions allant de l’interdiction de pratiquer à l’incarcération pour une raison. Il n’y a nul besoin d’être méfiant envers les psychiatres, les psychologues ou les infirmier·e·s en psychiatrie. Par contre, si vous ressentez une gêne à parler à votre thérapeute après des efforts sincères, ou des difficultés avec la méthode employée par celui·celle-ci, il est parfaitement légitime de l’exprimer.

Parler à son thérapeute ne doit pas être une épreuve. Même en hôpital ou en clinique, vous avez le droit de demander à être suivi par quelqu’un d’autre. Par exemple : M. était suivi par le Dr. J. dans la clinique que j’ai fréquentée. Lorsque le Dr. J. est parti en vacances pour deux semaines, M. a interrompu son séjour et est revenu en même temps que le Dr. J. parce qu’il ne souhaitait pas être suivi par un inconnu (le remplaçant du Dr. J.) pendant cette période.

A contrario, une relation de confiance et d’estime à l’égard de son·sa thérapeute peut faire de petits miracles, et d’autant plus si vous le voyez tous les jours comme lors d’une hospitalisation ! C’est pourquoi, lorsque vous êtes suivi en ville, il est recommandé de demander à votre thérapeute de vous indiquer une structure. Votre psychologue ou psychiatre saura quel centre utilise les mêmes méthodes que lui·elle, et à qui vous confier. Si vous n’avez pas de thérapeute, votre médecin du travail ou de l’université pourra vous aiguiller lors d’un rendez-vous, ou vous pouvez même vous tourner vers les centres publics de type CMP/CMPP.

 

2. Une certaine familiarité avec le travail fait en thérapie et la capacité à mettre des mots sur mes ressentis et mes troubles : dans mon cas, les séjours en cliniques se sont inscrits dans un long parcours de soins mobilisant psychologues et psychiatres. Ce ne sera pas le cas de chacun·e, et il n’y a aucune obligation à avoir déjà été suivi pour avoir une hospitalisation réussie. Je peux par contre témoigner que, que vous en ayez ou non l’habitude, vous devrez parler de/ identifier vos émotions, ressentis et symptômes.

 

3. Une peur panique de décevoir, qui m’a (entre autres) poussée à m’investir dans la démarche de soins

4. Un contact facile avec d’autres patients accessibles : la composition de la patientèle dépendra de la clinique. Celle que j’ai fréquentée accueillait des patient·e·s dont les troubles allaient du burn-out aux tendances suicidaires aiguës en passant par l’addiction, etc. mais qui étaient autonomes et présent·e·s de leur plein gré (plus ou moins, comme vous avez pu le voir avec mon cas) .

 

5. L’accès à des groupes de parole : je vous ai parlé ici d’Alcooliques Anonymes, parce que c’est la fraternité dont je fais partie, et qu’AA a joué et continue à jouer un rôle important dans mon rétablissement, mais mon intention n’est pas d’évangéliser. Il est parfaitement possible de devenir sobre et de rester sobre sans AA. Par contre, participer à un groupe de parole est un atout dans tout rétablissement, qu’il s’agisse de groupes de patient·e·es lors d’une hospitalisation, dans le cadre d’une thérapie… La possibilité de parler ouvertement de son expérience, de ses espoirs, de ses hésitations, avec d’autres, et d’entendre ceux d’autres patient·e·s représente une force et une ressource incroyables. Ce que j’ai pu observer est qu’un groupe de parole est une soupape de décompression dans une hospitalisation, mais aussi en dehors de l’hôpital.

 

6. La taille familiale de la clinique (65 patients) et la quiétude du lieu : le fait de séjourner dans une clinique de petite taille a pour conséquence que tout le personnel soignant vous connaît, et qu’à un·e infirmier·e pour 10 à 15 patient·e·s, celui·celle-ci aura le temps de parler avec vous. Je souhaite être très claire sur le sujet : parler au personnel soignant de ce que vous ressentez, physiquement et mentalement est crucial. Leur travail est complémentaire de celui du·de la psychiatre, avec lequel ils·elles travaillent en équipe. Si vous voulez mettre toutes les chances de rétablissement rapide de votre côté, il est fondamental d’utiliser au maximum les ressources à votre disposition, et les infirmier·e·s en font partie.

 

7. L’argent : un séjour en clinique n’est pas remboursé à 100% par la sécurité sociale, il faut donc prévoir des dépassements par rapport à ce qui sera pris en charge par votre CPAM et votre mutuelle (même si la clinique que j’ai fréquentée propose des « chambres sécu » remboursées dans leur intégralité, mais avec des délais d’attente pour l’hospitalisation plus longs). Il est donc important de se renseigner sur les modalités de prise en charge avant d’envisager un séjour. Bien entendu, cela ne sera pas le cas avec l’hôpital public. Si une clinique vous offrira un cadre plus plaisant, une plus grande discrimination parmi la patientèle et un ratio soignants/patients plus important qu’un hôpital, les ressources mises à votre disposition restent fondamentalement les mêmes dans les deux types de structures. Ne passez donc pas à côté de la possibilité de vous faire soigner simplement parce que votre situation financière n’est pas florissante.

 

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