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Le yoga thérapeutique : guérir grâce à une philosophie holistique

Illustration: Julie K.

Cette interview a été éditée pour plus de clarté et de concision.

 

Le yoga, OK, on connaît. Ce sont ces superbes poses sur Instagram, cette pratique régulière qui fait du bien au corps. Mais pas que ! La psychiatre Diane Daussy-Hantz, qui s'est initiée au yoga à l'âge de 14 ans, en a fait une pratique véritablement thérapeutique pour les patient·e·s qu'elle reçoit dans son cabinet. Je l'ai interviewée pour en savoir plus...

 

Insane mag : Qu'est-ce que c'est, exactement, le yoga thérapeutique ?

 

Diane Daussy-Hantz : C'est en quelque sorte une utilisation occidentale du yoga. Le yoga, à la base, vise à obtenir un meilleur équilibre entre le corps et l'esprit, d'ailleurs son étymologie le montre bien : le mot "yoga" en sanskrit signifie "lien". C'est en fait la même racine indo-européenne que le mot "joug", le nom de l'outil que l'on met sur les boeufs pour les lier et leur faire tirer la charrue. C'est donc le lien entre corps et esprit.

C'est important, parce que souvent dans nos sociétés occidentales, c'est quelque chose que l'on avait enfant et que l'on a perdu au fil du temps. Or il est essentiel de se relier à nouveau à nos sensations corporelles et à nos émotions. La pratique du yoga permet ainsi de nous reconnecter à nous-même, à l'intégralité de nous-même, c'est-à-dire à notre corps par le biais de nos sensations corporelles, à notre respiration, mais aussi à nos émotions qui sont intimement liées à nos sensations corporelles, justement : ainsi, lorsqu'on vit quelque chose de fort, que ce soit joyeux ou triste, on va ressentir des choses dans notre corps, par exemple une accélération du rythme cardiaque, des palpitations, la sensation d'un poids sur l'estomac, une difficulté à respirer...

Avec le yoga, on va ainsi travailler à détendre, mais aussi à agir sur les systèmes sympathique et parasympathique.

 

Insane mag : Vous parlez d'une pratique spécifiquement occidentale du yoga. Pourquoi est-ce une approche occidentale ?

 

Diane Daussy-Hantz : Disons qu'en Occident, on a un peu tendance à tout tirer vers le soin, c'est-à-dire que l'on attend d'être malade pour faire quelque chose. En Orient, c'est l'inverse : par exemple, dans la médecine chinoise traditionnelle, vous ne payez pas le médecin lorsque vous êtes malade, mais au contraire vous le payez tant que vous êtes en bonne santé, de façon à ce que vous ne tombiez pas malade justement. Si bien qu'en Occident, on va dire que le yoga peut être thérapeutique, mais en Orient, l'idée est que le yoga permet de maintenir la personne dans le meilleur état physique et psychique possible.

En fait, le yoga est une philosophie, pas seulement une activité physique, contrairement à ce qu'on pourra voir sur Instagram qui consiste essentiellement en des postures -- or les postures ne constituent qu'un petit morceau du yoga.

 

Insane mag : Et qu'y a-t-il alors comme autres "morceaux" dans le yoga ? Concrètement, en quoi cela consiste-t-il ?

 

Diane Daussy-Hantz : Vous avez les postures, qui constituent la partie physique, mais aussi une pratique de respiration, qui s'appelle prayanama, et des éléments de méditation. Dans cette méditation, vous avez d'ailleurs plusieurs niveaux, jusqu'au nirvana, mot qui est passé dans nos langages courants, mais qui désigne à l'origine le niveau le plus haut de méditation. C'est pour cela que l'on parle de philosophie : c'est parce que les parties exercices physiques et respiratoires du yoga sont un moyen d'amener à la méditation.

 

Insane mag : Comment en êtes-vous arrivée à proposer ces séances de yoga thérapeutique ?

 

Diane Daussy-Hantz : La pratique du yoga, si elle constitue une part très importante de ma vie, ne constitue aujourd'hui qu'une petite partie de ma pratique de soins. J'ai ainsi fait une formation de professeur de yoga en même temps que mes études de médecine, si bien que les deux sont extrêmement liés... Je voulais une spécialité médicale qui puisse se combiner avec le yoga.

Il y a 7 ou 8 ans, j'ai suivi une formation à la méditation de pleine conscience, avec les protocoles MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction, la réduction du stress basée sur la méditation) et MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy, la thérapie cognitive basée sur la méditation). Le premier est donc tourné vers la réduction du stress, tandis que le deuxième est plutôt tourné vers le travail sur les pensées négatives. Et ainsi depuis 5 ans environ, j'anime des groupes basés sur le protocole MBCT, de façon à prévenir les rechutes dépressives. Mais au fur et à mesure, j'ai été frappée de constater qu'il n'y avait aucune pratique physique pour ces patient·e·s, qui n'avaient que des pratiques méditatives, ce qui, de par ma connaissance du yoga, ne me paraissait pas logique du tout. Si bien qu'une fois le protocole MBCT en lui-même terminé, j'ai commencé à proposer du yoga aux personnes qui voulaient continuer la pratique méditative.

Et puis enfin, j'ai ouvert cette année un cours de yoga spécifique, avec par exemple des postures qui vont travailler à la fois la détente mais aussi l'ouverture du coeur (tout le haut du corps), de façon à développer une posture d'accueil et de confiance, ce qui permet de contrer les idées dépressives. Et puis on travaille sur la respiration, en particulier de façon à bien mobiliser le diaphragme : celui-ci a deux fonctions, la première est de masser les organes digestifs, car souvent lorsqu'on est tendu·e ou dépressi·f·ve, on a mal au ventre et des troubles digestifs ; et la deuxième est une action neurologique sur le système parasympathique (le système sympathique étant "l'accélérateur" et le système parasympathique étant le "frein"), si bien que cela va stimuler le côté freinant qui favorise la détente et même au-delà, qui favorise une harmonisation intérieure.

 

Insane mag : Donc, pour les patient·e·s, se sentir plus en harmonie avec leur corps permet de mettre à distance les idées noires ?

 

Diane Daussy-Hantz : Eh bien, cela leur permet déjà de se rendre compte qu'il leur est possible de ressentir du positif dans leur corps, eux et elles qui sont habitué·e·s à ne ressentir que du négatif. Ensuite, cela leur permet de se rendre compte que ce sont eux et elles qui l'ont fait, sans dépendre de quelqu'un d'autre ou d'un produit. C'est intéressant parce que cela leur redonne un sentiment d'estime de soi et d'efficacité qui est très important.

Enfin, la méditation va permettre de muscler l'attention. Sachant que dans la méditation, il ne s'agit pas de stopper les pensées, mais de les laisser passer, on va ainsi apprendre à "faire avec" les pensées, de façon douce et bienveillante, en acceptant ce qui est présent, mais en menant quand même à bien ce que l'on a envie de faire. Ainsi, selon les patient·e·s, on va pouvoir mener des méditations avec des thèmes spécifiques, par exemple le lien aux autres, ou bien la paix, ou encore la joie ou la connexion au monde extérieur... qui sont toutes des méditations à visée positive.

 

Insane mag : Comment cela se passe-t-il avec vos patient·e·s, vos élèves ? À quel stade de leur maladie viennent-ils et elles vous voir ?

 

Diane Daussy-Hantz : Ça dépend. Soit ces personnes sont avancées dans leur parcours de soin, c'est-à-dire en fin de dépression, il s'agit alors d'éviter les rechutes. Soit ces personnes ont déjà au moins deux ou trois mois de traitement. C'est vrai qu'en tout début de traitement, on doit être très vigilant, c'est une contre-indication dans les cas de dépression profonde de pratiquer la méditation : en effet, ce sont des gens qui sont déjà beaucoup en boucle, et les ré-intérioriser n'est alors pas conseillé. On peut à la limite pratiquer un yoga très très actif, via des séances courtes et sans méditation, mais même là c'est compliqué car ce sont des personnes qui sont souvent très fatiguées. Moi, quand vraiment ça ne va pas, je préconise plutôt d'aller marcher, avec des rythmes respiratoires pendant la marche, ce qui permet de limiter les boucles de pensées.

 

Insane mag : Lorsque vos élèves sortent de vos cours, sont-ils et elles autonomes ? S'agit-il de pratiquer en dehors des cours ? Leur donnez-vous des clés, des outils pour les moments où ça va moins bien chez eux ?

 

Diane Daussy-Hantz : Oui, j'ai vraiment à coeur que, très rapidement, mes élèves puissent pratiquer seul·e·s. C'est une technique qui n'est pas si simple, on ne peut pas non plus apprendre à faire des cours entiers de yoga tout·e seul·e, mais il y a plusieurs enchaînements (l'un en particulier, d'ailleurs très connu, se nomme La salutation au soleil) que l'on peut apprendre à pratiquer sans se faire mal au bout d'un trimestre. La salutation au soleil comprend par exemple un ensemble de 12 postures. De courtes méditations sont faisables aussi, assez rapidement. Certain·e·s de mes élèves pratiquent tous les jours entre les cours, d'autres pas du tout ; chacun·e est libre, je ne demande rien.

Ce qui est sûr, c'est que c'est assez exigeant : cela demande de s'arrêter, et cela demande une intériorisation. Ceux et celles qui aiment les cours de gym devant la glace par exemple ne vont pas se trouver satisfait·e·s : ce n'est pas qu'on ne partage rien, mais on est vraiment concentré·e sur ce qu'on est en train de ressentir, on peut donc en parler à la fin lors du temps dédié, mais il ne s'agit clairement pas d'un groupe de parole. En fait, on apprend à se connaître, par ce biais. Mais bien sûr, c'est ouvert à tout le monde, chacun·e à son niveau.

 

Insane mag : Y a-t-il un nombre de séances conseillé, selon les gens et les pathologies ?

 

Diane Daussy-Hantz : En fait, une fois qu'on est entré·e dedans, c'est bien de ne pas en sortir. C'est comme une bonne alimentation, au niveau corps, coeur et esprit. En général, pour bien sentir ce qu'est la pratique, un trimestre c'est bien, une année permet de voir de la variété, puis ensuite à chacun·e de voir : il y a possibilité de changer de forme de yoga (il y en a plusieurs) ou même de professeur, car il s'agit d'un partage d'intimité, il faut donc se sentir en confiance. Après, c'est effectivement plutôt du long cours.

Ce qui est important, c'est d'être tout de même accompagné·e : à la fois quand on est dans une optique de soins, parce qu'il faut que l'enseignant·e puisse entendre si la personne est stressé·e, s'il y a besoin d'une consultation derrière, si ça ne va pas bien, et puis aussi parce qu'il y a des postures dans lesquelles on peut se faire mal.

 

Insane mag : Continuez-vous à prescrire des médicaments, en tant que psychiatre ?

 

Diane Daussy-Hantz : Oui, tout à fait. Le yoga thérapeutique est plus une médecine complémentaire qu'une médecine alternative aux médicaments ; sauf pour le traitement de l'anxiété, où la pratique du yoga peut souvent remplacer un comprimé, cela fait effet pendant 3 ou 4 heures, ce qui est la même chose qu'un Xanax par exemple, mais cela n'aura pas les effets secondaires et surtout cela améliorera l'estime de soi. Pour la dépression, c'est plus difficile. Mais ce n'est pas grave : il vaut mieux prendre un traitement antidépresseur tôt, dont on sera moins dépendant et qu'on gardera moins longtemps, grâce à la pratique du yoga. Dans une dépression, vous avez deux facteurs : l'humeur triste, et la fatigue intense qui fait que tout est compliqué et qu'on n'a plus le goût à rien. Dans ces moments-là, il est très difficile d'avoir la motivation de faire un cours de yoga, et puis on risque d'avoir des pensées noires du style, "je suis nul·le comparé à ce que je faisais l'année précédente ou à mon voisin de yoga"... Il vaut mieux dans ces cas-là s'appuyer, en effet, sur un antidépresseur léger. Ce n'est donc pas du tout exclusif, même si évidemment, si on peut éviter les médicaments, on les évite !

 

Insane mag : Comment faire si l'on veut assister à des cours de yoga thérapeutique ?

 

Diane Daussy-Hantz : L'idéal est d'avoir d'abord une consultation avec un·e psychiatre, qui pourra diagnostiquer où en est la personne et si cette pratique est adaptée, puis de trouver un·e enseignant·e de yoga.

Je propose par ailleurs des sessions "Sésame" : il s'agit de sessions dédiées au ressourcement et à la gestion du stress, pour prévenir le burn-out. Il y a 3 niveaux dans ces sessions : du yoga, de la méditation pleine conscience et des groupes de partage (théorie + exercices) autour des quatre énergies, énergie physique, énergie émotionnelle, énergie intellectuelle, énergie spirituelle, de façon à développer ces 4 piliers pour être en harmonie. Des sessions de weekend et des sessions de semaine pourront reprendre à la fin de la crise sanitaire.

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