Réforme, Revenu Universel d’Activité… tout ce qui va (peut-être) changer pour l’Allocation Adulte Handicapé·e (AAH)
Sommaire
Mise à jour du 10 janvier 2019: La Cour des Comptes, un organisme chargé de vérifier les comptes publics de la France et d'émettre des avis, a rendu un rapport très sévère sur l'AAH et ses critères d'attribution. La Cour des Comptes estime notamment qu'il y a tout simplement trop de personnes reconnues handicapées (ah ? Quand on sait que beaucoup de personnes ne demandent pas cette reconnaissance, par auto-stigmatisation et par ignorance de son existence...), et en particulier des personnes reconnues handicapées psychiques depuis la loi de 2005 (ah bon. C'est peut-être parce qu'avant, on avait droit à zéro reconnaissance, nada, que dalle ?!), et conseille de durcir les contrôles. Bref, un rapport accablant auquel vous trouverez une excellente réponse publiée par le Collectif Schizophrénies.
Fin de la mise à jour
Mise à jour du 25 novembre 2019 : Un excellent billet mordant d'ironie de la chroniqueuse Nicole Ferroni sur France Inter, intitulé Handicap : le prix de l'amour, vous illustrera en 3 minutes 34 secondes le problème du conditionnement de l'AAH aux revenus du couple et pas uniquement à ceux de la personne handicapée.
Voici également une pétition à signer : simplement intitulée Revalorisation de l'Allocation Adulte Handicapé, elle circule sur Change.org et vous pouvez lui donner de l'ampleur en rejoignant les presque 188 000 signataires. Il en existe d'autres évidemment, mais celle-ci étant bien lancée, autant réunir nos forces plutôt que de les éparpiller.
Fin de la mise à jour
Le 13 septembre 2018, le président français Emmanuel Macron dévoilait au Musée de l’Homme les grandes lignes de son plan contre la pauvreté. Un des axes principaux présentés alors était la simplification des minimas sociaux en les fusionnant dans un revenu unique : le Revenu Universel d’Activité (à ne pas confondre avec le dispositif exploré par Benoît Hamon, candidat socialiste lors de la campagne présidentielle de 2017). Le RUA devrait probablement voir le jour en 2023, en application d’une loi qui devrait être votée en 2020.
Parmi les minimas sociaux que le gouvernement envisage d’aggréger dans le RUA devrait figurer l’AAH, l’Allocation Adulte Handicapé·e, dont ont bénéficié 1,13 million de personnes en France fin 2017. D’après le Panorama 2018 de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) sur les minima sociaux et les prestations sociales, 17% des personnes qualifiées de “personnes pauvres” sont des personnes handicapées de plus de 15 ans. Les personnes handicapées représentent donc une tranche de la population particulièrement sensible.
Mais pourquoi en parle-t-on ici, dans un média dédié à la santé mentale ?
Eh bien premièrement, parce que lorsqu'on pense “personne handicapée”, on ne pense pas forcément aux personnes souffrant de maladies mentales. Or selon la définition donnée dans la loi sur le handicap du 11 février 2005, une personne est handicapée si elle souffre de “toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive, d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant”. Dans cette définition, on peut donc retrouver par exemple les personnes souffrant de troubles bipolaires ou celles atteintes de troubles dépressifs graves. D’ailleurs, “améliorer les conditions de vie et d’inclusion sociale et la citoyenneté des personnes en situation de handicap psychique” constitue le troisième axe de la Feuille de route - Santé mentale et psychiatrie présentée par Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, en juin 2018.
Et deuxièmement, parce que l’AAH est au centre de plusieurs polémiques dernièrement : son inclusion dans ce fameux Revenu Universel d’Activité par exemple, mais aussi les effets de sa probable réforme. Tout ceci pose bon nombre de questions pour les personnes handicapées, et Insane est là pour vous aider à y voir plus clair.
Création du Revenu Universel d’Activité
Déjà, petit point sur le Revenu Universel d’Activité en lui-même et ce qu’il devrait comprendre.
Il fait partie du plan plus large contre la pauvreté dévoilé par Emmanuel Macron dans son discours du 13 septembre 2018, programme qui prévoyait d’allouer 8 milliards d'euros à la lutte contre la pauvreté. Un des grands axes de ce plan consiste à rendre les aides sociales plus accessibles car d’après Stanislas Guérini, député LREM (La République En Marche, le parti politique dont le président actuel est issu) et membre de la Commission des finances, “30 % des gens qui devraient toucher le RSA ne le perçoivent pas car le système est trop compliqué”. D’après le gouvernement, le RUA ne serait donc pas un dispositif destiné à faire des économies, mais à répondre aux quatre objectifs suivants :
1. "Offrir un système plus lisible en regroupant et harmonisant un maximum d’aides sociales."
2. "Assurer une existence digne aux bénéficiaires en instaurant un montant minimum permettant de faire du revenu universel d’activité un filet de sécurité."
3. "Encourager la reprise d’activité en faisant en sorte qu’un allocataire retrouvant un travail touche systématiquement davantage à la fin du mois."
4. "Répondre à un principe d’équité en harmonisant le mode de calcul des droits au revenu universel d'activité.”
Pour le moment, les minima fusionnés seraient le RSA (Revenu de Solidarité Active), la prime d'activité et l'APL (Aide Personnalisée au Logement), mais le gouvernement réfléchit à inclure également l'ASS (Allocation de Solidarité Spécifique, l'aide aux chômeu·r·ses en fin de droits), l'ASPA (Allocation de Solidarité aux Personnes Âgées, anciennement appelée minimum vieillesse), et l’AAH donc, qui fait débat.
Ce revenu sera une sorte de “contrat” mené avec l’allocataire, qui pourra ainsi recevoir l’aide sociale en contrepartie de certaines obligations : par exemple une formation ou une preuve de démarche active de retour à l'emploi.
Alors pourquoi parler en novembre 2019 d’un plan annoncé il y a un an ? Le sujet est déjà redevenu d’actualité cet été, quand la première phase de concertation institutionnelle sur la question s’est terminée et a pointé du doigt certaines incohérences. Par ailleurs, étant donné que le projet doit donner lieu à une loi en 2020, une concertation citoyenne a également été lancée : il s'agit d'une plateforme de concertation, mise en ligne par le gouvernement le 9 octobre dernier. Elle vise à expliquer le RUA et à permettre aux citoyens de donner leur avis sur trois questions le concernant :
Pourquoi le Revenu universel d'activité ?
À qui le Revenu universel d'activité devra-t-il s'adresser ?
Comment devra fonctionner le Revenu universel d'activité ?
Je vous invite vraiment à lire les commentaires des questions et à participer au débat. Le site sera accessible jusqu’au 20 novembre 2019, donc dépêchez-vous si vous souhaitez donner votre avis ! Plusieurs ateliers citoyens sont également organisés en novembre et en décembre : le 19 novembre à Besançon, le 26 novembre à Chartres et le 2 décembre à Avignon.
Inclure l’AAH dans le RUA ?
Pour savoir si l’AAH devrait être incluse dans le RUA, prenons d’abord un moment pour comprendre ce qu’est l’AAH exactement et qui est concerné·e.
D’après l’UNAFAM (Union nationale de familles et ami·es de personnes malades et/ou handicapées psychiques), l’AAH est une allocation de solidarité destinée à assurer un minimum de ressources aux personnes handicapées de plus de 20 ans (sauf exception) résidant en France.
Pour pouvoir en bénéficier, il faut être atteint·e d'une incapacité permanente d'au moins 80 % (AAH1), ou comprise entre 50% et 79 % (AAH2) lorsqu'il a été établi par une commission qu'elle présente une entrave manifeste à l'accès à un emploi.
L’octroi et le montant de l’AAH dépendent également du revenu de la personne et des autres aides dont elle bénéficie (pension d’invalidité, allocation supplémentaire d’invalidité, revenus d’activité professionnelle, revenus fonciers, pension alimentaire, intérêts de produits d’épargne...) car le but de l’AAH est de garantir à la personne handicapée un certain niveau de revenus.
D’un point de vue administratif, cette aide est financée par l’État, et versée par les CAF (Caisses d'Allocations Familiales) ou les MSA (caisses de Mutualité Sociale Agricole) selon les cas. Elle est accordée sur décision de la CDAPH (Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées) des MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées), auprès desquelles il faut adresser un dossier de demande d’aide.
Comme vous pouvez le voir dans le volet de la consultation nationale sur les cibles du RUA, la question de savoir si l’AAH doit être incluse dans ce dispositif est très controversée, et la majorité des personnes ayant répondu sont contre. La principale raison est justement la conditionnalité du RUA.
Même si le gouvernement affirme que “pour les personnes qui ne peuvent pas travailler, l’accès à un accompagnement social doit être assuré. [...] C’est par exemple le cas pour les bénéficiaires de l’allocation adultes handicapés (AAH). Pour ces personnes, l’engagement à rechercher un emploi ne doit pas être prévu, mais un accompagnement doit systématiquement être proposé pour les aider dans leur parcours de vie”, beaucoup de personnes s’inquiètent de voir cette aide, dédiée à la survie des personnes souffrant d’un handicap allant jusqu’à plus de 80% d’invalidité, mise dans le même panier que d’autres minima sociaux dédiés à des personnes pleinement indépendantes et en capacité de se former ou de travailler. Le fait de conditionner l’aide à la recherche d’emploi ou à la participation à une formation est vivement critiqué par plusieurs associations et par une partie de l’opinion publique (le journal Le Monde a d’ailleurs réalisé une vidéo expliquant pourquoi l’aide dédiée à la lutte contre la pauvreté devrait être inconditionnelle). La conditionnalité de l’AAH cristallise bien entendu ces inquiétudes, ce qui a mené à la création de pétitions en ligne.
La réforme de l’AAH
Parallèlement au débat lié à l’inclusion de l’AAH dans le RUA, une réforme de l’AAH est également en cours, ce qui mène parfois à une certaine confusion entre ces deux sujets. C’est le cas par exemple pour la pétition relayée plus haut, intitulée “Non, l'allocation d'Adulte Handicapé ne doit pas être incluse dans le Revenu Universel d'Activité en préparation par le gouvernement !” et qui traite pourtant principalement des conséquences des changements autour de la réforme de l’AAH. Alors, de quoi s’agit-il ?
La revalorisation de l'Allocation Adulte Handicapé·e à 900 euros par mois a été officialisée le 13 octobre 2019 au Journal officiel et est entrée en vigueur le 1er novembre 2019, un timing qui n’aide pas à différencier les deux débats et qui remet l’AAH au coeur de l’actualité. Cette augmentation vient compléter une première revalorisation de 50 euros, qui a eu lieu en novembre 2018, et qui portait alors l’allocation à 860 euros mensuels. Pour comparaison, le SMIC (Salaire Minimum de Croissance) se situe, lui, à 1 202 euros net par mois.
En plus de l’augmentation du montant de l’AAH, plusieurs changements ont également été apportés.
Premièrement, en lien avec l’idée de simplifier et d’alléger les démarches administratives, les MDPH peuvent depuis le 1er janvier 2019 attribuer l’AAH à vie lorsque le handicap n’est pas susceptible d’avoir une évolution favorable. C’est notamment le cas pour certaines troubles mentaux ou psychologiques. Auparavant, les démarches devaient être effectuées avec une fréquence variant de 1 à 5 ans selon les cas.
Ensuite, toujours par souci de simplification et de lisibilité des aides, certains compléments à l’AAH ont été modifiés. La loi de finances pour 2019, adoptée le 28 décembre 2018, prévoit que le CPR (Complément de Ressources) disparaîtra en fusionnant avec la MVA (Majoration pour la Vie Autonome). Le CPR est un forfait de 179,31 euros par mois attribué aux personnes ayant un taux d'incapacité d'au minimum 80 %, des ressources et un logement indépendant. Il cesse d'être versé si la personne travaille ou atteint l'âge minimum légal de départ à la retraite. La MVA s’élève à 104€ par mois et permet quant à elle aux personnes en situation de handicap ayant un taux d'incapacité d'au minimum 80 % vivant dans un logement indépendant de faire face aux dépenses que cela implique. Les deux compléments n’étaient jusqu’ici pas cumulables. Cette disparition doit intervenir au 1er décembre 2019 et est vivement critiquée, notamment par la perte de pouvoir d’achat qu'elle peut engendrer. En effet, certaines personnes remplissaient les conditions pour avoir droit au CPR mais non à la MVA, ce qui constitue pour elles une perte sèche de 179,31 euros par mois. Pour plus de détails sur les conséquences de cette “abrogation-fusion”, je vous invite à lire un article concis de Handicap.fr et la question au gouvernement qui a été posée sur le sujet.
La réforme de l’AAH entend également modifier le plafond de revenu des personnes handicapées vivant en couple en le rapprochant de celui du RSA (Revenu de Solidarité Active). Pour bien comprendre ce dont il s’agit, il faut revenir au mode de calcul des minima sociaux. Dans son élaboration du RUA (Revenu Universel d'Activité), le gouvernement compte s’appuyer sur le système de solidarité actuel, où tous les minima sociaux sont conditionnés aux ressources de l’allocataire mais également à celles de son foyer fiscal. La logique derrière étant que, en vivant en couple, les personnes peuvent réaliser des économies d’échelle, comme pour les loyers par exemple.
L’AAH étant un minimum social, les revenus pris en compte pour le calcul du montant de l’allocation sont aussi ceux du foyer, ce qui implique que le montant de l’aide décroît à partir du moment où le revenu du/de la conjoint·e atteint un certain niveau (1 194 euros nets/mois), jusqu’à devenir nul lorsque le revenu du/de la partenaire atteint 2 257 euros net/mois. Ces montants sont eux-mêmes calculés à partir d’un coefficient qui, dans le cadre de la réforme de l’AAH, va être amené à diminuer à compter du 1er novembre 2019, en même temps que la seconde hausse de l’AAH (à 900 euros par mois, pour rappel).
Comme l’explique la proposition de loi défendue par Marie-George Buffet, ce mode de calcul risque cependant d’annuler les effets de la revalorisation de l’AAH à 900 euros pour certaines personnes : “Le coefficient de prise en compte des revenus du conjoint est actuellement de 2 fois le montant de l’AAH. À partir du 1er novembre 2018, de manière concomitante à une première augmentation de l’AAH de 50 euros, le coefficient passera à 1,9 puis à 1,8 au 1er janvier 2020 lorsque l’AAH sera porté à 900 euros par mois. Ainsi, la multiplication de 810 euros par 2 ou de 900 euros par 1,8 donnant le même résultat de 1 620 euros, le plafond de ressource restera le même et par conséquent, l’augmentation de l’AAH n’aura aucun impact pour les allocataires vivant en couple.”
D’après un rapport sénatorial sur le projet de loi de finances 2019 (paragraphe A-2-b), sur les 250 000 personnes vivant en couple actuellement (soit 25 % des allocataires de l'AAH), 20 000 verraient leur allocation augmenter, 80 000 verraient leur revalorisation neutralisée, et 150 000 subiraient une revalorisation « dégradée ». C’est pourquoi des associations telles qu’APF France Handicap déplorent que, via cette réforme, le gouvernement “[reprenne] d'une main ce qu'il donne de l'autre…”.
La proposition de loi de Marie-George Buffet, qui suggérait une suppression de la prise en compte des ressources du/de la conjoint·e dans le calcul de l’AAH, a été débattue à l’Assemblée Nationale en mars 2019 mais a été rejetée pour diverses raisons.
La question de l’indépendance financière des personnes handicapées est une revendication récurrente, qui a été à nouveau mise en évidence par les changements liés à l’AAH et par la construction en cours du RUA. Des pétitions circulent aussi à ce sujet, dont une qui a récolté presque 200 000 signatures.
Enfin, le projet de loi de finance 2019 prévoit également la fin de l’indexation de l’AAH sur l’inflation, ce qui risque également de poser des problèmes de pouvoir d’achat sur le long terme : “Est ainsi prévue la suppression de cette revalorisation en 2019, puis une revalorisation à 0,3%, en 2020, bien loin du taux d'inflation estimée à 1,3% par le Gouvernement et 1,6 % selon les dernières prévisions de l'INSEE pour 2019.”
En conclusion
La réforme de l’AAH et la question de son incorporation dans le RUA posent bon nombre de débats, principalement car, comme le dit le Sénat dans son rapport sur la loi de finance 2019 : “L'AAH n'est pas un minimum social comme les autres”.
Selon sa construction et son mode d’attribution, le RUA sera le reflet de l’indépendance ou non des personnes handicapées, mais également de l’adaptation de notre société pour mieux les inclure dans la vie active par exemple, surtout si le RUA doit être conditionné à une recherche d’activité. Enfin, avec le maintien de la prise en compte du revenu du/de la partenaire dans le calcul de l’AAH, cette réforme tend à invoquer la solidarité familiale pour ne pas avoir recours à la solidarité de l’État. On voit bien pourtant avec le sujet de la reconnaissance des proches aidants que la solidarité familiale a parfois besoin d’un coup de pouce, et que les personnes handicapées souffrent déjà assez d’avoir l’impression d’être un poids pour leurs proches.
En tout cas, avant que le RUA n'entre en vigueur, il existe une myriade d’aides sociales dont il est parfois difficile de savoir si l’on remplit les critères d’éligibilité. En attendant donc, vous pouvez (en 7 minutes apparemment) faire un test d’éligibilité à plus de 34 aides sociales grâce au simulateur mis en place par le gouvernement.
Aller plus loin
- Sur l’AAH :
- La page du site du Service Public dédiée à l'AAH
- Le site du gouvernement dédié au handicap
- Le guide pratique de l’UNAFAM pour monter un dossier de demande d’AAH
- Le rapport de la DREES sur l'évolution du nombre de bénéficiaires de l'AAH
- Sur les minima sociaux et leurs effets :
- Le panorama 2018 de la DREES sur les minima sociaux et prestations sociales
- Sur la réforme de l’AAH:
- L'infographie du gouvernement sur la revalorisation de l’AAH
- Le rapport du Sénat sur le projet de loi de finance 2019, qui reprend tous les éléments du débat
- Le rapport complet de Marie-George Buffet sur la modification du plafond de revenu des couples pour l'obtention de l'AAH