Lettre ouverte aux psychiatres
Sommaire
Mesdames et messieurs les psychiatres, c'est à vous que je m'adresse. Il existe quelques simples précautions et mesures à prendre pour rendre la vie, et le processus de rétablissement, plus faciles à vos patient·es. La plupart paraîtraient aller de soi, mais comme c'est loin d'être le cas, j'ai pris la liberté de vous faire une petite liste.
L'absence de médecin traitant n'est pas une (bonne) raison de refus de consultation
Quand vous recevez un appel d'un·e potentiel·le patient·e pour la première fois, ne rejetez pas sa demande juste parce qu'il/elle vous contacte de sa propre initiative et pas sur la recommandation de son/sa médecin traitant·e. Si vous avez la place pour un·e patient·e supplémentaire, vous avez la place pour un·e patient·e supplémentaire, point.
Alors oui, les personnes qui ont plus de 25 ans sont censées passer par leur généraliste traitant·e pour accéder à vous (si elles veulent être remboursées au taux normal par la Sécurité sociale), c'est ce qu'on appelle le parcours de soins. Mais au pire, acceptez un premier rendez-vous et dites-lui de récupérer une recommandation entretemps ! Les généralistes ont tendance à connaître un·e ou deux psychiatres, pas plus -- si ces deux-là sont en secteur 2 ou ne prennent pas de nouveaux/nouvelles patient·es ou sont indisponibles pour une raison quelconque, c'est à votre patient·e de se débrouiller pour trouver un·e autre psychiatre : pas si facile !
Même si maintenant il y a justement un article Insane dédié à la recherche de psychiatre.
Si vous partez, dites-le tout de suite
Si vous connaissez votre date de départ en retraite ou de déménagement (l'année ou le mois suffira, on ne vous demande pas d'afficher votre agenda complet, hein) au moment où vous prenez un·e nouveau/nouvelle patient·e : bon sang, dites-lui ! Ça lui évitera de s'engager avec un·e médecin, en lui racontant potentiellement pour la millième fois son histoire, tout ça pour devoir en changer six mois plus tard.
Ça vaut aussi pour les patient·es que vous recevez déjà : dès que vous êtes au courant de votre départ, dites-le-leur. Ça leur donnera le temps de se préparer psychologiquement et, ACCESSOIREMENT, de s'organiser pour trouver un·e autre psychiatre ! Pour rappel les listes d'attentes peuvent s'étaler sur des mois, ce point est donc tout à fait essentiel à respecter.
Travaillez avec d'autres professionnel·les de la santé mentale
Vous partez en retraite, vous déménagez, le courant ne passe pas avec votre patient·e, bref, il ou elle doit trouver un·e autre psychiatre ? Ayez une liste de collègues sous la main. Et pour info, 2 ce n'est pas assez, SURTOUT S'ILS/ELLES SONT EN SECTEUR 2 ou non conventionné·es !
Les psychologues, sophrologues et autres psychothérapeutes sont tout autant que vous des professionnel·les de la santé mentale. Leur travail est essentiel, parfaitement complémentaire au vôtre. Donc :
- Soyez en capacité d'en recommander quelques-un·es à vos patient·es
- Renseignez-vous auprès de ces professionnel·les pour comprendre en quoi consiste leur travail et quelles sont leurs méthodes
- Et demandez à vos patient·es fraîchement débarqué·es dans votre cabinet s'ils ou elles sont suivi·es par de tel·les thérapeutes, pour le cas échéant être en contact régulier. De la même façon que vous devriez rester en contact régulier avec les médecins traitant·es de vos patient·es.
Soyez au courant de ce qui se fait
Les médicaments c'est bien, la thérapie c'est encore mieux vu qu'elle au moins n'a pas d'effets secondaires. Donc renseignez-vous et ayez une liste sous la main de psychologues et psychothérapeutes, mais aussi groupes de parole, associations, bouquins adaptés aux situations de vos patient·es.
Ça coûtera moins cher à la Sécu, et ça vous évitera de suivre des patient·es pendant des années pour qui les médicaments ne sont pas la seule ou la bonne solution, ce qui au passage vous libèrera des places pour d'autres personnes, cf premier point.
Prenez en compte l'impact sur la vie quotidienne de vos patient·es
- Gardez vos connaissances à jour en matière de médicaments : vérifiez si un format plus pratique existe (couper un comprimé en deux, s'il n'est pas fait pour, rend son absorption moins efficace, je ne vous l'apprends pas), s'il y a moyen d'éviter un goût infect (par exemple en prescrivant des comprimés plutôt que des gouttes), si un médicament sera facilement trouvable à l'étranger (dans le cas d'un·e patient·e voyageant beaucoup)... Cela aidera vos patient·es à mieux respecter leur traitement ("meilleure observance", dans votre jargon).
- S'informer sur la situation familiale et la situation professionnelle de votre patient·e implique de leur demander le temps de trajet et les facilités de transport entre votre cabinet et le domicile ou le lieu de travail de votre patient·e, ainsi que leurs moyens pour faire garder leurs enfants. Cela vous permettra de ne pas leur proposer des horaires parfaitement impossibles à chaque fois que vous prévoyez un rendez-vous, de leur proposer un rendez-vous en urgence entre deux autres patient·es si la personne ne se trouve pas très loin de votre cabinet, de leur proposer un rythme de rendez-vous adapté et réaliste afin de maximiser les chances d'un bon suivi...
- Faites en sorte que l'accès à votre cabinet soit possible pour les personnes avec un handicap moteur ou physique. C'est la base, surtout quand on prend en compte le fait que les personnes avec un tel handicap ont également plus de chances de le cumuler avec un handicap psychique.
- Soyez facilement joignable. Cela ne veut pas dire être joignable sur des horaires plus étendus ou donner votre numéro de portable personnel.
- Mais une adresse email professionnelle peut facilement vous éviter de vous faire poser un lapin involontaire parce que votre secrétariat est injoignable après 17h ou le weekend.
- Proposer des consultations par Skype, surtout quand vous savez que vous n'aurez rien à prescrire pour ce rendez-vous-là, peut permettre aussi à votre patient·e de ne pas perdre du temps et de l'argent dans les transports, tout en gardant le face-à-face souvent précieux. PS: vous pouvez envoyer une prescription par la poste si besoin... n'hésitez pas si cela peut maximiser vos rendez-vous par Skype !
- Informer systématiquement vos patient·es des ressources à contacter quand vous n'êtes pas disponible est une précaution essentielle. Urgences psychiatriques, mais aussi ligne d'écoute anti-suicide, numéro via sms ou chat en ligne pour les jeunes, permanences d'associations... Quelques exemples à la fin de cet article.
Si vous le pouvez, posez des diagnostics
Même temporaires, mêmes avec des réserves, dites ce qui ne va pas à votre patient·e si vous pouvez l'identifier ! Ce sera évidemment le moment de lui rappeler qu'un diagnostic n'est pas infaillible ni une étiquette à vie, mais prenez conscience qu'un diagnostic c'est un premier pas vers le rétablissement. Quelqu'un qui ne va pas bien a besoin de savoir pourquoi, il est évident qu'il est beaucoup plus difficile d'accepter des soins ou d'avoir de l'espoir quand on ne sait même pas de quoi on est atteint·e.
Et puis il s'agit de votre éthique de médecins aussi : on sait bien que traiter les symptômes mais pas la cause est insuffisant, et ce n'est pas franchement rassurant de se dire que vous essayez des cocktails de médicaments au hasard parce que vous n'avez pas identifié le problème. On n'est pas dans Dr House ! Dans la vraie vie, les gens ont besoin de réponses pour commencer à se (re)construire.
Quant à ceux et celles de vos patient·es pour qui vous connaissez le diagnostic mais craignez la stigmatisation (au hasard, en cas de schizophrénie), dites-lui quand même, bon sang ! Sinon vous ne faites qu'ajouter au tabou et vous empêchez la personne de trouver les soutiens dont elle a besoin (communauté de patient·es, associations, etc.).
Faites confiance à vos patient·es, et vous verrez que votre relation thérapeutique n'en sera que (mille) fois plus efficace.
Ne laissez jamais quelqu'un repartir sans ressources
Vous ne pouvez plus prendre de nouveaux/nouvelles patient·es ? Assurez-vous que la personne au bout du fil :
- A un·e médecin traitant·e en qui elle a confiance (sinon, suggérez-lui quelqu'un)
- A un·e ou des proches de confiance également
- Dispose des coordonnées des urgences psychiatriques locales et sait qu'elle peut s'y rendre dès qu'elle ne se sent pas bien (et pas juste en cas d'idées suicidaires détaillées)
- Aiguillez-la systématiquement vers des collègues psychiatres ou vers le CMP de son secteur, et si elle hésite, rasssurez-la sur la prise en charge et insistez pour qu'elle les contacte
C'est la BASE, parce qu'il n'y a rien de pire quand on va mal et qu'on cherche de l'aide que de s'entendre répondre "nan j'prends plus personne, au revoir" ou "nan vous êtes trop jeune/pauvre/domicilié·e ailleurs, on peut pas vous recevoir, déso". Surtout si on est timide. Surtout si on ne fait pas trop confiance aux médecins. Surtout si on est épuisé·e par une dépression. C'est comme ça qu'on atterrit aux urgences générales après une tentative de suicide ou dans les journaux de faits divers après un suicide réalisé.
Vous êtes responsables, vous avez la possibilité d'éviter ces drames. Faites votre boulot.
Aller plus loin
- Fil Santé Jeunes, le service gratuit et anonyme à appeler ou avec qui chatter quand ça ne va pas ou pour une question délicate (public 12-25 ans)
- SOS Suicide Phoenix, le service sans aucune restriction d'âge ou de lieu, à appeler ou à qui envoyer un email quand ça ne va pas (prix d'un appel local, pas besoin d'être au bord du suicide pour appeler)
- La Porte Ouverte, association présente dans 6 villes de France, pour un accueil en face-à-face anonyme et sans rendez-vous (aucune restriction d'âge ou autre)
- Pro tip : si vous n'êtes pas en France par exemple, mais que vous tapez "suicide" dans la barre de recherche Google, vous aurez des résultats vous donnant les ressources locales pour vous aider