Pourquoi nous avons adoré "My Mad Fat Diary"
Cet article a été rédigé à quatre mains, par Camille F. et Sylvia F.
Comme le titre l’indique, la série My Mad Fat Diary est tout d’abord un journal, le journal d’une adolescente, Rae Earl, qui a grandi dans une petite ville en Angleterre à la fin des années 80, en surpoids et avec des troubles psychiques, notamment des troubles de l’alimentation. En 2013, le livre (intitulé My Fat, Mad Teenage Diary) a été adapté en série, avec l’excellente Sharon Rooney dans le rôle de Rae. On la suit alors qu’elle se découvre, s’affirme puis s’accepte, les trois étapes permettant de traverser ce rude moment qu’est l’adolescence, et on la voit devenir une jeune adulte, malgré la difficulté supplémentaire de la maladie. Ces étapes ont un écho en chacun·e de nous, peu importe que l’on ait déjà eu à faire face à une maladie (mentale ou pas) ou non. On retrouve en Rae la justesse d’une adolescence non idéalisée ou stéréotypique. C’est pour cela que, malgré nos expériences de vie différentes, nous avons toutes les deux tant apprécié la série et que nous souhaitions la présenter ici. Elle nous a fait nous replonger dans notre propre adolescence avec un autre regard: celui de la bienveillance. On a essayé d’éviter, mais quand même: attention spoilers!
Des personnages plus vrais que nature
Ce que nous souhaitions tout d’abord mettre en avant, c’est la justesse de la représentation, qui nous a particulièrement marquées. Rarement avons-nous vu des adolescent·e·s aussi.... vraisemblables ! Gauches, touchants, mais aussi débrouillard·e·s, futé·e·s, mûr·e·s pour leur âge. Les personnages (et pas uniquement Rae et son groupe d’ami·e·s) sont fantastiquement construits, avec leur complexité, leurs atermoiements et de véritables dimensions en dehors de leur rapport à l’héroïne et à l’action principale de la série. Au delà de la justesse des personnages, la série offre un regard construit et mesuré sur la maladie mentale et son traitement, avec l’expérience de Rae mais aussi des autres jeunes qu’elle rencontre en groupe de parole, ainsi qu’une exploration des mécanismes de la thérapie de par ses séances avec Kester, le thérapeute qui la suit.
You are perfect and you can be strong.
Tu es parfaite, et tu peux être forte.
A travers l’expérience de Rae et de ses proches, la série nous montre très concrètement ce qu’est le traitement de la maladie mentale, et à quoi peut bien ressembler un cheminement de patient·e en psychiatrie, sans fard.
Ce qui rend la série si juste, et si intéressante, c’est qu’elle est adaptée d’une histoire personnelle, celle de la vraie Rae Earl (auteure du livre dont est tirée la série), et que cette histoire et ces expériences ont été respectées. De fait, l’auteure est intervenue sur la série, pour aider à l’adaptation de son livre.
Les acteurs et actrices rendent (à nos yeux) véritablement justice aux personnages, en particulier les jeunes femmes jouant Rae et Chloe, sa meilleure amie. L’actrice jouant cette dernière, Jodie Comer, s’est depuis illustrée dans les séries Thirteen et Killing Eve, et son jeu d’actrice vaut le détour!
Rae et les autres
La série insiste sur un élément clé : l’entourage. Elle présente une excellente représentation de l’impact des troubles sur les proches. En particulier, la relation que Rae entretient avec sa mère est très intéressante dans son évolution. Au début de la série, le dialogue entre les deux a été rompu, Rae parle plus volontiers à ses ami·e·s, et s’exprime très peu auprès de sa mère, qui s’imagine le pire. Il y a une gêne entre les deux, et une confiance qui doit être regagnée. Comment, en effet, doit-on considérer son enfant lorsqu’il ou elle s’est mis·e en danger? Comment lui laisser son espace? La relation entre les deux personnages est d’une justesse poignante, mais sans pathos, et un très bel aspect de My Mad Fat Diary. De fait, Rae est en reconstruction, mais elle n’en reste pas moins une adolescente, et donc dans un rapport difficile à sa mère. C’est avec brio que la série nous dépeint le lien entre elles, et le dialogue qui se renoue, et grâce auquel les deux reprennent confiance.
La mère de Rae représente un personnage très intéressant, pas du tout cantonnée à un rôle de mère, mais une femme avec son identité et ses désirs, dont la vie ne s’est pas arrêtée avec l’hospitalisation de sa fille. C’est aussi à Rae de respecter les décisions de sa mère, et de faire des efforts pour lui permettre d’être heureuse. En s’ouvrant, et en se montrant responsable, elle rassure aussi son entourage, ce qui représente un aspect important de sa reconstruction.
There is nothing wrong with having a bad day, nothing at all. There is nothing wrong with putting your jammies on and staying in. The world will wait. The world will not combust because you can’t force a smile.
Il n'y a pas de honte à avoir une mauvaise journée, pas du tout. Il n’y a pas de honte à rester à la maison en pyjama. Le monde attendra. La Terre ne va pas s’arrêter de tourner parce que tu n’arrives pas à te forcer à sourire.
Dans cette représentation d’un “retour à la vie”, le personnage de Rae est remarquable. Du haut de ses 16 ans, elle fait preuve d’une force et d’une volonté de s’en sortir et de ne pas rester cantonnée à une image de malade, qui impose le respect. Malgré ses doutes et ses complexes, elle se bat au quotidien pour aller mieux, pour dépasser son manque de confiance en elle, pour se reconstruire une vie qui en vaille la peine. La série nous montre bien que ce cheminement passe par des hauts et des bas, comme par exemple à la fin de la première saison. Un des messages importants de la série est justement que ces moments difficiles n’invalident pas le rétablissement de l’héroïne, mais font au contraire partie du processus de reconstruction. Ils ne représentent pas un jugement sur son caractère, ou une sentence, mais tout simplement des aspects normaux d’une vie qui est peut-être moins simple que celles d’autres personnes.
“Quand est-ce que je serai grande?”
Cette question, je la posais fréquemment à ma grand-mère lorsqu’elle me gardait quand j'étais enfant. Je n’ai toujours pas la réponse, mais la série permet de poser un autre regard sur cette question. À travers les personnages et les épreuves qu’ils traversent, on voit se dessiner un portrait on ne peut plus juste de l’adolescence, à savoir cette période où l’on découvre qui on est, et qui sont les personnes qui nous entourent, au-delà de leur rôle de mère, père, meilleur·e ami·e ou même thérapeuthe. On découvre ses forces et on se rend compte qu’on a des faiblesses. On sort de sa zone de confort pour se confronter tel·le que l’on est au regard des autres.
En cela, la complexité des personnages est parfaitement représentée, et chacun·e a droit à son axe de développement sans que ce dernier soit forcé ou stéréotypé. Cette évolution des personnages, elle se fait à travers un panel de difficultés qui n’est pas exclusif à Rae ou limité à la maladie mentale, et chaque personnage a droit à un arc de développement qui ne se résume pas à ce qu’il ou elle renvoie comme image superficielle. Par exemple, Chloe, la meilleure amie de Rae, a des problèmes de confiance en elle, ce qui impacte sa relation aux hommes.
La série montre aussi que, face à ces épreuves, il n’y a pas de “bonne” ou “mauvaise” façon de réagir, il faut essayer, peut-être se tromper, avancer, et recommencer. On le voit particulièrement bien dans le processus de guérison de Rae et la relation qu’elle entretient avec sa maladie. Elle va au début mentir à ses ami·e·s sur le fait d’avoir été en hôpital psychiatrique par exemple, pour finir par leur en parler. De même, certains passages montrent une Rae pleine de doutes, prenant parfois des décisions qu’elle regrette, comme lorsqu’elle décide de ne pas accompagner sa mère à l’hôpital pour son échographie. Elle est en cela très humaine : elle doute, se trompe, mais assume toujours ses choix et les conséquences et continue d’avancer. Au final, c’est cette persévérance qui fait de Rae un personnage fort et courageux, malgré tous les défauts qu’elle se trouve et malgré le fait qu’elle se sache malade.
En ce sens, la série constitue une apologie de la bienveillance envers soi-même et envers les autres. Une partie de l’adolescence est dédiée à la recherche de la norme, et comment s’y intégrer. Cependant, la série est différente dans le sens où elle nous montre qu’il n’y a pas de “manuel de la personne parfaite” à suivre, il y a seulement des personnes différentes, et qui sont toutes, sans exception, “étranges” à leur manière, dans la mesure où tous les personnages font des efforts pour rentrer dans ce qu’ils pensent être “la norme” mais qui est en fait une norme comme une autre, qui ne leur correspond pas forcément.
Everyone’s crazy. Everyone has to struggle and fight. They just haven’t realized it yet. At least you have.
Tout le monde est fou. Tout le monde doit faire face à ses problèmes et se battre. C’est juste qu’ils ne l’ont pas encore compris. Toi au moins, tu t'en es rendue compte.
On retrouve cette idée dans la saison 2, lorsque les personnages, quand ils entrent à l’université, choisissent les groupes d’ami·e·s auxquels ils veulent appartenir. Chloe se retrouve donc avec le groupe des filles “cool” mais toxiques et manipulatrices, et Archie essaie de s’intégrer à un groupe de garçons dont le seul sujet de conversation est le tour de poitrine des jeunes femmes de l’université. La série suggère donc que différentes “normes” existent, et que l’on peut la choisir en fonction d’où l’on se sent le mieux, et qu’on a le droit de quitter une “norme” pour une autre qui nous convient plus car il n’y a pas de hiérarchie entre elles.
Rae, en tant que personne malade d’une maladie taboue et ne se conformant pas aux canons de beautés présentés dans les publicités pour les sous-vêtements, se rend compte qu’elle n’appartient pas à ce qu’elle pense être “la norme”. Cependant, la série nous montre que cela ne l’empêche pas d’être une personne forte, et surtout appréciée de son groupe d’ami·e·s. Elle en deviendra même, d’après ces mêmes ami·e·s, le noyau et le liant. Cela ne l’empêche pas non plus d’être désirée ou d’avoir des relations amoureuses/sexuelles, bien loin des clichés de “la bonne copine rigolote avec qui ça n’ira pas plus loin”, rôle bien trop souvent réservé aux personnes en surpoids dans les séries ou les films, qui se retrouvent décrédibilisées en tant qu’objet de désir à cause de leur corps. La série bouscule alors subtilement les normes et les canons de beauté des adolescent·e·s des années 90, avec lesquels nous avons donc nous-mêmes grandi, et qui sont malheureusement en grande partie toujours d’actualité aujourd’hui. Rae n’est donc pas présentée comme plus “hors norme” que les autres parce qu’elle a une maladie mentale. Elle essaie juste de trouver sa place, comme tout le monde, et elle finit par la trouver et par l’affirmer. Elle nous montre qu’il n’y a pas de “bonne” façon d’être soi, qu’il n’est pas nécessaire de changer pour entrer dans une norme, de surcroît arbitraire. L’important est d’être vrai·e et en accord avec ses valeurs et sa personnalité, et c’est ainsi qu’elle parvient à trouver des personnes qui l’acceptent et l’apprécient telle qu’elle est.
Vous l’aurez compris, une série qui bouscule les normes est avant tout une série décomplexante, surtout quand c’est fait avec humour. My Mad Fat Diary est donc une série “feel good”, qui donne espoir et qui décomplexe son audience, qu’elle ait 17 ou 27 ans. Elle nous replonge dans toutes ces premières fois qui font de l’adolescence un moment si précieux : les premières sorties, les premiers baisers, les premières soirées, les premiers défis… Et tous les doutes qui y sont liés, sans tabou. La série évoque ainsi de façon très décomplexée le sexe, la masturbation, l’homosexualité, les discriminations, les complexes, l’amitié, les relations amoureuses… et montre que, premièrement, à l’adolescence tout le monde est un peu dans le même brouillard, et deuxièmement, que ce sont des interrogations normales et légitimes dont il est possible de discuter.
It’s alright to be scared. It’s what you do when you’re scared that matters.
C’est normal d’avoir peur. Ce qui compte, c’est la façon dont tu réagis quand tu as peur.
En faisant des personnages principaux des adolescents qui se délestent de façon graduelle de certains de leurs complexes et en brisant certains tabous (l’adultère, les relations non consenties, l’avortement…), la série est également une apologie du dialogue, malgré la sensation que cela donne de “sauter dans le vide”. Le fait de discuter de sa maladie avec ses ami·e·s est clairement un passage difficile pour Rae, qui redoute leur réaction. Dans la série, un parallèle est fait avec ce que ressent Archie concernant son grand secret. Finalement, c’est le courage de Rae qui va inciter Archie à prendre la parole, et, tout comme pour Rae, il se rend compte que certain·e·s de ses ami·e·s le savaient déjà, mais que cela ne changeait rien à leur relation. Cela montre que, de façon générale, les personnes proches telles les ami·e·s ou la famille, ne sont pas dupes. Le dialogue, même s’il fait peur, est un moyen d’enlever l’éléphant de la pièce et de donner les clés pour se comprendre mutuellement. Comme Chop pour Archie, tout le monde n’est pas toujours prêt·e à entendre une vérité dure à avouer, mais si les personnes sont bienveillantes et attachées, elles feront l’effort, et il faut leur faire confiance.
C’est d’ailleurs après avoir visionné la première saison de cette série qu’une de mes amies a trouvé le courage de parler de sa maladie mentale à ses ami·e·s pour la première fois… Le message de My Mad Fat Diary, que l’honnêteté paye et que les gens qui en valent la peine comprendront, est d’une grande puissance.
C’est donc un cheminement tout en nuances que celui de Rae, qui reste prudente et ne veut pas déclarer trop vite qu’elle va mieux. Nous, spectateurs et spectatrices, sommes témoins de l’évolution, et pouvons constater en même temps qu’elle son relèvement. Le message de cette série est un message d’espoir, de douceur et de tolérance, avec soi-même et avec les autres. My Mad Fat Diary nous apprend qu’on peut aller mieux si l’on fait preuve de patience et de persévérance, et que c’est en s’ouvrant aux autres qu’on laisse entrer la vie. Un message en somme universel, une héroïne remarquable, une galerie de personnages secondaires complexes et attachants…
Qu’attendez-vous pour la regarder ?