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Faire le deuil des expériences perdues

Illustration: Tony H.

Nous arrivons en début Juillet, début de l’été, début des vacances scolaires… S’il s’agit d’une période particulière de l’année, habituellement synonyme de cérémonies de remise des diplômes, de fêtes et célébration de la fin de cours, voire de fin du collège / lycée / fac pour certain·e·s, cette année, ces rites de passages auront surement une allure différente. Que ce soit pour des raisons sanitaires (distanciation physique toujours à l’ordre du jour), une réticence à fêter la fin d’une année scolaire lourdement chamboulée et qui semble déjà lointaine pour certains, par petite déprime au vu du malheureux contexte social / politique / économique / sanitaire, ou des projets d’été peut-être moins que enthousiasmants (je pense qu’on est nombreux·ses à rêver de prendre le large et respirer un coup !)… La fin de l’année scolaire 2020 risque de passer plutôt inaperçue, bien loin des batailles de mousse à raser, de farine et d’œufs, contre lesquelles luttent souvent de manière acharnée les établissements scolaires (avec plus ou moins de succès !) et les autorités locales. Malgré la chaleur de la semaine passée, même les batailles d’eau semblent improbables. Ce sont des souvenirs dont les élèves de la promo de terminale (entre-autres) de 2020 devront se passer, ainsi que tou·te·s les élèves d’ailleurs, en cette fin d’année.

En lisant, la semaine dernière, devant mon café du Dimanche matin, l’article de Hadley Freeman sur ce même sujet dans lequel elle raconte ses propres jalons de l’adolescence loupés pour cause de maladie mentale, j’ai eu l’impression qu’elle s’adressait à moi, tant son discours résonnait personnellement. La maladie mentale, cela fait souffrir, clairement, et beaucoup. Si on en parle malencontreusement peu, on parle encore moins du tourment engendré par tout ce qui nous échappe pendant qu’on est dominé par la souffrance primaire de cette maladie. Comme un « FOMO » (Fear Of Missing Out), poussé à l’extrême, version XL, mais dont le « Fear » (la peur) est remplacée par le regret : pour ma part, il s’agissait moins d’une peur de louper ces expériences, mais plutôt de résignation, une acceptation néanmoins amère, de l’inévitable. Peut-être ne survient-elle qu’après-coup, cette reconnaissance du manque, cette sensation d’être passé à côté de quelque chose, ou peut-être qu’elle accentue la peine lorsque l’on contemple de loin ces étapes se dérouler pour les pairs tandis qu’on se trouve écarté par la maladie.

Parce qu’en réalité, et comme c’est souvent le cas avec une maladie chronique ou intense, la vie normale est mise entre parenthèse le temps d’y faire face. Et étant donné la durée (parfois) d’une maladie mentale, ainsi que l’âge de manifestation (souvent vers l’adolescence ou la vingtaine pour certains troubles), cela peut devenir compliqué à gérer. Car c’est aussi l’époque où l’on s’attend à vivre les « premiers » : les premières expériences de la vie d’adulte. Ces transitions et les changements propres à la période peuvent même être des éléments déclencheurs. Mais de ce fait, c’est aussi une période pendant laquelle si l’on ne va pas très bien, on peut avoir l’impression de passer à côté de beaucoup de choses, ou de voir ces moments gâchés, souillés par le mal-être. Surtout quand on nous balance des adages loin d’être rassurants, du style « le lycée / la fac / la vingtaine, c’est les meilleures années de ta vie »…

 

Les représentations médiatiques et culturelles n’améliorent aucunement la donne : pensez à la remise de diplôme spectaculaire à l’américaine, la fête des 18 ans merveilleuse et arrosée, le départ du foyer libérateur et début de vie indépendante passée à s’éclater entre potes etc. Vous savez ce à quoi je fais référence… Ces étapes de vie nous sont vendues dans notre culture occidentale et s’ancrent ainsi dans nos projections de vie, façonnent nos attentes, avec les fêtes pour les marquer qui les accompagnent - évidemment !

 

Si ces expectatives imaginées ne se passent pas toujours comme prévu, ou ne sont pas à la hauteur, ce n’est pas forcément facile à accepter - pour quiconque. Mais si ces années coïncident avec une souffrance qui nous en prive, le deuil de ce à quoi on s’attendait peut être d’autant plus pénible. Ce n’est pas facile de se dire qu’on a raté des soirées, qu’on a vu des anniversaires symboliques gâtés par la maladie, des opportunités de tisser des liens, réduites, des étapes et des tremplins d’émancipation, loupés ou du moins loin de l’idéal anticipé… Que ce soit parce que la maladie nous empêche directement ou indirectement de participer à la vie (qui elle, continue, insouciante) ou encore qu’elle nous sape l’énergie et le désir de ce faire, cette impression de passer à côté d’expériences considérées « normales », symboliques dans la vie d’un·e ado ou jeune adulte peut faire souffrir. Et surtout si cela s’inscrit dans la durée et se conjugue potentiellement avec isolement, voire même de la honte qui ne devraient pas mais malheureusement accompagnent souvent la maladie mentale.

Pour en avoir fait l’expérience, je conseillerais simplement d’écouter plutôt celles et ceux qui rassurent que pour eux aussi, ça a été difficile, ou que d’autres expériences de vie se présenteront, la jeunesse ce n’est pas l’âge d’or. Si le bonheur est réellement, comme l’on peut parfois entendre, la réalité soustraite des attentes, alors on a tout intérêt à essayer de se libérer de ces attentes qui parfois, n’ont pas lieu d’être, et encore moins si elles ne servent qu’à faire culpabiliser de ne pas les accomplir. (« Happiness equals reality minus expectations », résumé du bonheur proposé par Tom Magliozzi, présentateur d’émission de radio américain).

 

Si je me permets de donner ce conseil, c’est aussi parce qu’à mon sens, l’isolement que peut procurer un sentiment d’être « différent » ne fait qu’empirer la chose. Que l’on s’impose cet isolement parce que l’on imagine un gouffre entre soi et les autres du fait de ces expériences ratées, ou qu’elle soit imposée par les circonstances de la maladie mentale, rester seul·e avec sa souffrance ne fait que l’accentuer (celle de la maladie et celle provoquée par l’impression de rater quelque chose). D’autant plus que je doute qu’ils ou elles soient réellement si nombreux à avoir vécu ce qu’on nous vend de l’adolescence / la vingtaine… Et même si c’est la réalité de certain·es, la différence, la diversité d’expériences, aussi cliché que cela puisse paraître de le dire, peut faire votre force.

 

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