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Comment j'ai dû m'éloigner de ma famille pour me rétablir

Illustration: Julie K.

Sommaire

Les difficultés avec mon entourageJ’ai trouvé ma voix à BordeauxLe long chemin du rétablissement

Laëtitia a été diagnostiquée comme portant un trouble de la personnalité borderline. Elle raconte comment elle a dû d'abord s'éloigner de sa famille pour se rétablir, afin de mieux la retrouver ensuite.

 

J’ai rencontré le psychiatre qui allait changer ma vie après une hospitalisation désastreuse dans une clinique psychiatrique pour deux tentatives de suicide, automutilation, dépression et crises de panique. C’est durant cette hospitalisation qu’on m’avait diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline.

 

Quand je suis arrivée dans la toute petite unité fermée de l’hôpital psychiatrique de secteur, j’étais très profondément en crise. Je suis sortie après une hospitalisation de deux semaines. Je n’étais pas stabilisée et j’ai enchaîné l’année suivante les hospitalisations et les suivis en CMP (Centre Médico-Psychologique). C’est après ma quatrième hospitalisation d’un mois que mon psychiatre a décidé pour me soigner de m’envoyer à Bordeaux, dans une clinique privée.

 

Les difficultés avec mon entourage

Chaque fois que je rentrais chez moi, je replongeais un peu plus profondément dans ma pathologie, je souffrais et personne ne pouvait m’atteindre tant j’allais loin dans mes mots et mes gestes. Je me sentais comme un poids qui pesait sur les épaules de ma famille, un poids si lourd qu’il coulait, entraînant avec lui tou·te·s les personnes que j’aimais.

À la maison, je n’arrivais même plus à maintenir des liens normaux avec ma famille qui ne semblait pas - selon moi - comprendre ma détresse. Je trouvais l’air irrespirable, je suffoquais dans un environnement toxique, entourée de personnes que je jugeais responsables de mon mal-être. En réalité, elles étaient simplement impuissantes face à la maladie, mais moi je leur en voulais et m’isolais encore plus, jusqu’à me noyer dans une sorte de paranoïa.

 

Pour me permettre de ne pas retourner dans ma famille après mon hospitalisation, mon psychiatre et l’assistante sociale ont rempli un dossier pour une demande d’Allocation Adulte Handicapé·e (AAH). Si je voulais me rétablir - selon mon psychiatre - je devais me détacher de mes parents et quitter le nid familial dans lequel je ne trouvais plus ma place ni même ma voix.

Étonnamment, mes parents ont assez bien pris la nouvelle de mon départ. Je suis sortie le vendredi de l’hôpital psychiatrique et mon départ pour la clinique était prévu pour le lundi. Quant à moi, j’étais ravie et excitée de partir en "post cure" dans une clinique où il y avait plein d’activités.

Partir était pour moi le meilleur moyen de mettre toutes les chances de mon côté, pour penser à un éventuel rétablissement.

 

J’ai trouvé ma voix à Bordeaux

À Bordeaux, j’ai décidé de prendre ma santé mentale en main. J’ai lutté chaque jour contre mes angoisses et autres idées noires, et pour ne pas m’automutiler. J’ai parlé... Beaucoup parlé, un flot de paroles et de sanglots avec le psychiatre, les infirmières, les aides-soignantes. J’ai pris plein de "si besoin" [médicaments donnés non pas en traitement régulier mais au fur et à mesure des besoins, le plus souvent des calmants].

J’avais retrouvé un état de confiance, loin de mes proches. J’ai participé à tous les ateliers proposés dans la clinique : musicothérapie, art thérapie, théâtre, mosaïque, cuisine, etc. 

Avec le psychiatre de la clinique, nous avons cherché à tâtons pour me trouver un traitement qui me stabiliserait. J’ai enfin trouvé le bon cocktail avec plusieurs antipsychotiques, un antidépresseur et des anxiolytiques. 

Mais j’avais surtout une arme en plus que j’avais su développer au fil du temps : la parole. Avant, je n'exprimais ma douleur qu’à travers mon corps martyrisé, mais là-bas, j’avais enfin (re)trouvé ma voix.

 

Durant mon séjour, je n’ai eu que peu de relations avec ma famille car j’avais décidé - afin de ne pas me sentir influencée par elle - de faire une véritable "parentectomie".

Au début, je n’avais que quelques contacts par téléphone environ toutes les deux semaines, puis plus j’avançais, plus j’avais besoin de les appeler pour qu’ils et elles soient témoins de mes progrès. J’ai aussi appris à faire confiance aux professionnel·le·s et cela m’a aidé à découvrir mes ressources intérieures, à accepter et laisser aller ma douleur. 

Je suis restée un an et quatre mois dans cette clinique. Ce temps m’a permis, aussi, de prendre du recul, de revoir toutes mes relations avec mes proches, de pardonner, de les comprendre et de mieux les aimer. 

 

J'en suis ressortie stabilisée et grandie. J’ai découvert tout mon potentiel qui me permet chaque jour d’avancer vers la rémission. Mes liens avec ma famille se sont améliorés car elle a pu aussi faire le deuil de sa « fille d’avant » et apprendre à composer avec ma pathologie. Mes proches ont pris du temps pour guérir de leurs blessures, ma mère et ma sœur jumelle ont, par exemple, suivi une psychothérapie. Mon père m’a un jour envoyé un SMS en me disant que même s’il était parfois impatient avec moi, il avait compris qu’il me fallait du temps pour me rétablir. J’avais pris tout mon temps loin de mes parents et de leurs attentes. Paradoxalement, cette distance avec ma famille et mes proches nous avait rapproché·e·s.

 

Le long chemin du rétablissement

Dorénavant, je suis sur le chemin du rétablissement et j’apprends à vivre avec mon trouble de la

personnalité borderline et mes autres vulnérabilités psychiques.

Le rétablissement n’est pas la guérison, mais il vise à donner un nouveau sens à sa vie et il n’implique pas nécessairement la disparition des symptômes. Il est propre à chacun·e et il donne à voir les forces et les ressources que l’on a pour pouvoir mener une vie "normale". 

 

Je suis actuellement suivie par un psychologue et un psychiatre du CMP de ma ville qui m’aident à faire l’inventaire de mes ressources disponibles et de mes limites.

Je suis consciente que je peux rechuter, mais maintenant je sais surtout que je peux me relever et être soutenue par ma famille et des professionnel·le·s. Le psychiatre de la clinique de Bordeaux m’a d’ailleurs dit lors de mon départ : "Si vous avez besoin ne serait-ce que pour deux semaines de revenir, vous pouvez toujours le faire, et nous appeler 24/24h, 7/7j".

 

Grâce à mon psychiatre, une fois sortie de la clinique, j’ai pu aller vivre dans un appartement thérapeutique pas très loin de ma famille. Ceci m’a permis de m’autonomiser par rapport à mes parents et de garder la distance nécessaire pour mon rétablissement tout en restant proche d’eux. La semaine, je participe aux activités du CATTP (Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel). 

Aujourd’hui, je suis bénévole dans plusieurs associations et cela m’aide à me sentir utile et à reprendre confiance en moi en aidant les autres. D’ailleurs, j’envisage de me faire accompagner en septembre pour me remettre petit à petit dans un parcours professionnel.

 

Tout ce chemin parcouru m’a appris à comprendre mes émotions et à les laisser s’exprimer par la parole ou le sport, ou encore le théâtre. Le traitement m’aide aussi à ne plus souffrir de ces émotions douloureuses et des changements rapides d’humeur.

Je remercie mon psychiatre de m’avoir permis d’ouvrir mes ailes et mon psychiatre de Bordeaux de m’avoir trouvé le bon traitement et d’avoir été le témoin de mes premiers pas vers plus de confiance en moi.

 

Le rétablissement reste un parcours personnel et singulier, mais aussi tout un cheminement qu’il me

plaît désormais de découvrir tout comme je découvre ma nouvelle vie.

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