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Mon 26ème coming-out : la fondatrice d'Insane, Lucie, se livre sur ses troubles psychiques

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Cet article a été traduit de l'anglais par Florence Rabouine. Mille merci à elle !

 

Il y a quelques temps, j’ai démarré (et achevé) un projet nommé Un Jour Un Coming Out (vous pouvez lire tous les posts Facebook qui en parlent juste là sur la page Facebook dédiée). L’idée était d’écrire un post Facebook tous les jours sur quelque chose me concernant dont les gens n’avaient pas connaissance. Je voulais enfin être moi-même, d’où le terme de coming-out, mais aussi faire prendre conscience à mes proches et à mes camarades de classe que les personnes qu’ils considéraient comme anormales, bizarres, voire carrément dangereuses et horribles, par ignorance ou de par leurs préjugés, pouvaient en réalité être quelqu’un qu’ils connaissaient et aimaient. Pas si anormal·e, pas si bizarre, et en aucun cas dangereu·x·se ou horrible.

Voici le coming-out que j’ai fait sur ma maladie mentale.

 

Jour 26

J’ai un trouble psychique. J’ai une maladie mentale. J’ai un handicap psychique. Je vous laisse choisir le terme (bien que je préfère le premier, alors employez plutôt celui-là, merci beaucoup).

 

On est le 31 mai, ce qui rend ce coming-out nécessaire. Parce que mai, c'est le mois de la sensibilisation aux maladies mentales et ça fait donc 30 jours que j’élude ceci.

(“Fais ton coming-out, qu’ils disaient, tu te sentiras mieux après, qu’ils disaient”. Non, en fait, je suis la seule à l’origine de ce projet alors c’est parti !)

 

Durant l’année passée, on m’a diagnostiqué une dépression atypique (c’est-à-dire anxieuse), un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et un trouble de la personnalité borderline (TPB).

 

J’ai souffert (et souffre encore) de crises de panique, d’anxiété et de tristesse invalidantes, de sensation de vide intérieur, de souffrance, de honte, de haine envers moi-même et d’auto-mutilation à tel point que cela me tue intérieurement par moments. J’ai également survécu à une tentative de suicide.

 

Relisez bien ces mots. Malade mentale. Handicapée psychique. Ressentez-en la saveur douce-amère car ces mots sont uniques. Ils représentent un moyen d’expliquer la différence d’une personne, de faire acquiescer votre interlocuteur et d’allumer une lueur de compréhension dans son regard, et de faire enfin ressentir à beaucoup de gens un putain de soulagement car leur souffrance -- notre souffrance -- porte enfin un nom et est enfin reconnue.

 

Là, essayez d’imaginer un peu mes larmes.

D’abord, les nombreuses que j’ai versées, complètement suffoquée quand, après des mois passés dans un hôpital psychiatrique et face à un médecin qui me terrifiait, je lui ai demandé ce que j’avais, ce qui n’allait pas chez moi et qu’il m’a regardée franchement et m'a répondu : “Je n’en ai aucune idée”.

 

Puis d’autres larmes, de soulagement cette fois, qui, telles des chutes du Niagara, se sont mises à couler sur mes joues et mon cou et à s’écraser sur ma poitrine quand, lors de ma dernière séance avec ma seconde psychiatre, en qui j’avais totalement confiance, elle a déclaré que j’étais atteinte d’un trouble de la personnalité borderline. Donc ce n’était pas ma faute. J’étais atteinte d’un trouble mental qui me faisait souffrir et j’ai compris plus tard que le diagnostic de borderline était un diagnostic assez récent, et que peu de psychiatres en reconnaissaient l’existence mais… c’était le premier vrai diagnostic que je recevais et putain, tout prenait sens.

D’autres larmes sont venues après cela. Des larmes d’indignation, quand j’ai lu dans mon dossier médical que mon premier psychiatre avait écrit qu’il y avait « un décalage surprenant entre le bagage universitaire de la patiente et son état mental ». De honte intense, quand j’en ai lu davantage sur Internet et que je me suis rappelée que chacun balaie toujours la souffrance émotionnelle d’un revers de main en affirmant que « tu es trop sensible, tu dois t’endurcir un peu et arrêter de tout dramatiser ». Les personnes atteintes de Trouble de la Personnalité Borderline comme moi souffrent d’hypersensibilité émotionnelle (et sensorielle), abruti.

 

Soudain, avec le TPB, tout s’expliquait. Je m’en fous si mon troisième et actuel psychiatre et tout un tas de gens doutent de ce diagnostic car « tous les symptômes pourraient se retrouver chez à peu près tout le monde ». Non, pas tout le monde, et le TPB est en réalité difficile à diagnostiquer… car il ouvre la porte à toutes sortes de troubles psychiques sans aucun rapport apparent tels que la dépression, l’anxiété, l’automutilation, les idées suicidaires, les addictions et beaucoup d’autres. Mais alors qu’il s’agit de troubles à part entière chez d’autres personnes, il s’agit souvent de symptômes chez les personnes atteintes de TPB. De ce que je comprends (mais j’ai lu bien d’autres analyses de ce trouble), quand on est atteint·e de TPB, on est comme hypersensible, ce qui nous rend beaucoup plus vulnérables à toutes sortes de blessures et maladies mentales.

 

La dépression anxieuse prenait sens car, et je sais que c’est exactement ce que voulait dire mon (premier) psychiatre d’alors, c’était simplement le reflet de ce qui se passait en moi à ce moment-là. Ce n’était pas le diagnostic d’un trouble mental ou de quoi que ce soit de profondément ancré en moi… c’était une photo de ma santé mentale à un instant T.

 

Je n’aurais jamais imaginé qu’on me diagnostique un Trouble de Stress Post-Traumatique et pourtant, c’est le trouble sur lequel l’ensemble de mes psychiatres et psychologues se sont le plus accordé. Tou·te·s l’ont évoqué. Et bien que ça soit incroyablement difficile à accepter, ça fait parfaitement sens.

 

J'ai mal, je suis blessée. Je suis actuellement handicapée psychiquement et il se peut que je le reste toute ma vie. Je peux aussi guérir complètement. Il n’existe pas de remède au TPB, mais il y a des traitements pour toutes les maladies mentales qu’il peut entraîner. Et, contrairement à ce que vous pourriez entendre, ces traitements marchent comme pour les autres patient·e·s, c’est-à-dire très bien sur certain·e·s et pas vraiment sur d’autres. Ils marchent assez bien sur moi et, au passage, leurs effets secondaires m’ont forcée à reconsidérer mon corps avec plus de douceur, d’amour et de compassion… euh plus qu’avant en tout cas, ce qui n’est pas beaucoup non plus mais bon.

 

Je suis encore en train d’essayer de comprendre tout ça. Je suis encore en train d’essayer d’accepter ces diagnostics, et le fait qu’ils ne sont que des diagnostics qui peuvent changer ou être renommés par la suite. Je suis encore en train d’essayer de vivre une vie normale et de gérer mon quotidien en même temps que mon trouble psychique, et de survivre malgré lui (avec l’aide de mes proches et de mes deux chatons).

 

 

Voilà ce dont j’ai le plus peur dans tout ça : que vous vous retrouviez dans un état mental difficile, que ce soit aujourd’hui ou plus tard, que vous vous souveniez de ce post Facebook, et que ça vous dissuade de chercher de l’aide (que ce soit par des médicaments ou une thérapie). Que ça vous empêche de prendre soin de vous, que ça vous fasse penser que "jongler entre tous ces docteurs, prendre des médocs pendant des mois ou des années, recevoir des diagnostics qui peuvent être erronés ou invalidés par le médecin suivant… non merci !".

S’il vous plaît. Ça va aller mieux, je vous le promets. Il existe des traitements adaptés pour ce que vous avez parce que c’est juste ça, une maladie dans votre corps… qui est énorme, comme un éléphant assis sur votre poitrine, et il n’y a aucune raison – aucune raison légitime, quelle qu’elle soit – que vous viviez dans la souffrance. Si vous vous sentez mal, allez voir un médecin. Si vous vous sentez mal, dans votre cœur et dans votre âme, allez voir un médecin. Il existe des soins pour vous.

 

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