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Insatiable, S2: une série de sensibilisation à la santé mentale... à dévorer

Illustration: Julie K.

Cet article a été traduit depuis l'anglais par Jade Mangin. Mille merci à elle !

 

Il s'agit de ne pas édulcorer les dangers que posent les troubles de santé mentale. Et pour l'amour des gâteaux, il est grand temps d'abolir ce préjugé de bon-samaritain bien-pensant à propos des troubles de l'alimentation (vous savez, celui qui dit que ça n'arrive qu'aux personnes extrêmement minces ou celles atteintes d'obésité morbide, et que de toute manière c'est leur faute, elles n'avaient qu'à pas être aussi égocentriques). Et oui, cet article sera saupoudré de références à la nourriture, parce que la comédie dramatique Insatiable est trop bonne pour ne pas suivre le mouvement (de plus, je suis d'accord avec les scénaristes sur le fait que les troubles alimentaires sont un sujet compliqué et qu'il est parfois important d'alléger un peu l'ambiance).

 

Si vous n'en avez pas entendu parler ou si vous ne l'avez pas encore vue ( que ce soit parce qu'avec son intrigue qui peut paraître étrange elle s'est fait bâcher par des médias peu rigoureux, ou que ce soit parce que vous ne vous y êtes tout simplement pas mis·e), cette série originale Netflix traite d'une lycéenne qui souffre d'un trouble de l'alimentation. Le concept de base, c'est que l'héroïne était en surpoids, puis elle a perdu beaucoup de poids après s'être fait frapper au visage, ne pouvant plus manger que de la nourriture liquide pendant 2 mois. On la suit donc dans sa quête de vengeance envers toutes les personnes qui l'ont harcelée lorsqu'elle était grosse. Voilà.

La saison 2 est maintenant disponible sur Netflix, et vous devriez absolument arrêter de faire ce que vous êtes en train de faire et aller dévorer cette série. Je l'ai trouvée particulièrement enrichissante et rafraîchissante au sujet des problèmes de santé mentale, de la sensibilisation à celle-ci ainsi que du harcèlement, du stress professionnel et du soutien familial.

 

Si vous souffrez vous-même d’un trouble du comportement alimentaire, de harcèlement ou d’une addiction, ou si vous êtes proche d’une personne qui était/est dans ce cas, je ne peux que doublement vous recommander de regarder Insatiable.

Premièrement parce que la boulimie, trouble dont la personnage principale est atteinte, n'est absolument pas moquée. Ensuite, parce que Netflix n’a pas décidé de se concentrer sur l’anorexie (qui est à peu près le seul trouble de l’alimentation traité dans les films) mais plutôt sur un autre trouble alimentaire qui est encore plus stigmatisé et bien moins étudié. Et aussi parce que le genre choisi, une comédie dramatique, aide beaucoup : ça fait du bien de voir son trouble enfin représenté et reconnu à la télé… mais parce que c’est aussi émotionnellement éprouvant, la distraction est tout à fait bienvenue. Et enfin, parce que le message qu’envoie Insatiable, clair et net, est le suivant :

  • Perdre du poids n’est pas la solution à votre détresse (l’obsession de perdre du poids fait d'ailleurs souvent partie du problème)

 

  • Les personnes souffrant d’un trouble de l’alimentation ne sont pas nécessairement obèses ou rachitiques

 

  • Les troubles de l’alimentation sont de vraies maladies mentales (pas une série de mauvais choix, de la faiblesse mentale ou même un problème biologique), qui nécessitent une thérapie

 

  • Les personnes qui se battent contre la boulimie (par exemple) sont avant tout des personnes qui en souffrent, pas des héro·ïne·s ni des faibles que l’on peut mépriser

 

  • Le harcèlement peut créer ou aggraver un trouble de santé mentale

 

Il faut changer la société de l’intérieur et arrêter de juger les personnes qui nous entourent sur leur apparence (comprendre : pour éduquer les masses, on a besoin de plus de séries comme celle-ci). Il faut aider et permettre aux personnes souffrant de troubles de l’alimentation de se concentrer sur l’amélioration de leur santé mentale (comprendre : augmenter les budgets des hôpitaux et services de santé mentale !). Il faut systématiquement contrôler et suivre de près l'état de santé mentale des personnes faisant face à une épreuve, surtout si elles sont jeunes (dans des situations comme perdre ou manquer d’un parent, abus ou agression, avoir du mal à l'école, avoir un handicap, faire partie d'une minorité...), ce qui permettrait d'offrir à la personne un soutien adéquat et concret dès que le besoin s'en fait sentir. Il faut normaliser la thérapie, (chose qu’Insatiable, je l’admets, n'est pas parvenue à faire jusqu'ici). Il faut s'assurer que tout le monde ait accès à de la nourriture réellement nutritive, et se débarrasser de toutes ces choses que nous ingérons tous les jours et qui ne font que rendre nos addictions plus fortes (sachant que nous ne naisssons pas égaux face à l'addiction): comme le sucre blanc, la farine blanche, les additifs…

Mais bon, en attendant, encore une fois, allez regarder la série.

 

Si vous ne parvenez pas à vous défaire des critiques qu’a pu subir la première saison, voici quelques réponses auxdites critiques. Ce que je comprends de toute la couverture négative de la presse à propos de la première saison d'Insatiable, c'est que les critiques de cinéma se sont assis·e·s devant la bande-annonce avec leur pop-corn, se sont concentré·e·ss dessus, et ne se sont pas fatigué·e·s à regarder la série elle-même. Ils et elles avaient tellement hâte de montrer qu’ils étaient du côté sucré de la Force, promouvant une bonne santé mentale et piaillant à chaque fois que le mot “gros·se” apparaissait, se délectant à l’avance des 20% de clics en plus sur leur gros titre tout juste sorti du four, qu'ils et elles ont sorti un article cinglant sur un sujet dont ils ne savent absolument rien.

 

Grossophobe ? Parce que l’actrice a porté une combinaison la rendant grosse pendant 2 minutes au début du premier épisode ? Toute l’intrigue de la série repose sur le fait qu’elle était grosse et devient mince (et qu’être mince ne fait pas de vous une meilleure personne, ni ne vous conduit automatiquement au bonheur). C'est donc une actrice mince qui a été choisie. Ça aurait été pire de caster une actrice grosse pour quelques épisodes, pour ensuite la mettre de côté et continuer la série avec la mince Debby Ryan. Donc oui, les costumes de gros sont un problème quand ils sont utilisés tout le long d’un film plutôt que de prendre un acteur ou une actrice qui l’est vraiment, ou quand ils sont employés dans le but de se moquer ou de dégrader l'image des personnes en surpoids.

Mais je pense que c'est parce que le personnage de Patty est décrit comme grosse tout le long de la série. Et pour la plupart des fausses sensibilisations d’Hollywood à ce sujet, “gros” est un gros mot, une insulte. Et bien non, ce n'en est pas une, et il faut faire passer le mot. Insatiable fait du super boulot en pointant ça du doigt.

Enfin, voir le personnage se farcir (littéralement) de gâteaux quand elle se sent mal et abandonnée, n’est pas seulement réaliste (quand les jolies jeunes filles minces mangent à la télé, elles sont toujours gracieuses et toujours sexy), ce n’est pas non plus dégoûtant (comme sont toujours représentées les filles grosses à la télé ) -- c'est seulement triste et ça appelle à la compassion.

 

LGBT-phobe ? Oui, la meilleure amie du personnage principal se met en couple avec la première lesbienne qu’elle rencontre, une habitude d'Hollywood que j'aurais aimé que la série ne suive pas.

Mais Insatiable consacre aussi une bonne partie (plutôt hilarante, en plus) de la série à la bisexualité -- sans tomber dans le cliché des bisexuels prédestinés au BDSM et collectionneur·se·s de conquêtes -- là où l’absence de représentation est incroyablement répandue à la télé, comme dans les livres, la musique, etc.

Entre la première et la seconde saison, la série s’aventure même du côté des plans à trois, des couples libres et des rencards pour des personnes plus âgées (comprenez : au-dessus de 30 ans). Et c’est assez exceptionnel pour être signalé et applaudi.

 

Des blagues sexuelles stupides ? C’est une comédie noire, les gars. Les blagues sexuelles sont stupides parce que les personnages qui les disent agissent stupidement à ce moment-là, et le message est clair : vous pouvez, et devriez, agir mieux qu’eux et elles. Et puis, parfois les blagues stupides (si elles ne sont pas insultantes), aident à alléger l’atmosphère. Et ça, c'est très important quand on parle de maladie mentale.

 

Quelques bonus : la série ne se contente pas de parler de boulimie, elle traite aussi de l’alcoolisme et de l’anorexie, et s’aventure tout doucement auprès des pensées suicidaires. Elle ne se consacre pas non plus qu’aux lycéen·ne·s et discute du sentiment de trahison et d’abandon (commun chez les personnes atteintes d’un Trouble de la Personnalité Borderline par exemple), rend le beau gosse du coin ennuyeux intellectuellement (et lui offre d'ailleurs peu de temps d’écran), célèbre la vivacité d'esprit des femmes (grosses ou non, LGBTQI+ ou non, jeunes ou non…), et le personnage principal est loin d’être parfait -- à vrai dire, elle prend pas mal de mauvaises décisions qui peignent d'elle une image particulièrement réaliste, ce qui empêche les spectateurs de la soutenir de façon inconditionnelle. Les personnes qui souffrent ne sont pas toujours de parfaits petits anges: à dire vrai, ce sont des personnes comme les autres. Mais prendre de mauvaises décisions ou agir de façon irrationnelle ne veut pas dire que vous ne méritez pas le bonheur.

 

Par ailleurs, jusque-là la saison 2 (que je n’ai pas encore finie) n’essaie pas de changer son message, ni sa façon de le transmettre. Chose pour laquelle j’étais inquiète après les retombées de la première saison.

Enfin, si vous craignez que la série ne vous réactive, mais que vous voulez quand même la regarder, je vous propose quelques petites choses pour vous aider :

 

  • Regardez la série avec quelqu’un que vous aimez et qui est au courant de vos troubles de santé mentale

 

  • Planifiez un peu de temps pour vous et de calme avant et après la série (environ une heure ou une demi-heure avec un livre, une boisson chaude, de la musique calme et/ou un bain, pas de travail ni quoi que ce soit de stressant)

 

  • Utilisez une appli pour suivre votre santé mentale ou écrivez simplement ce que vous ressentez plusieurs fois dans la journée, tout le temps du visionnage d’Insatiable. Si après plusieurs épisodes, vous remarquez que votre humeur a été négativement affectée, je vous conseille honnêtement d’arrêter de la regarder

 

  • Parlez de la série avec votre thérapeute si vous en avez un·e

 

 

Aller plus loin

 

 

 

  • Appelez le numéro Anorexie Boulimie Info Écoute (prix d'un appel local) : 0810 037 037

 

 

 

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