Insane survives thanks to your donations. If this magazine has been useful to you, please consider helping us!
Unfortunately, this article has not been translated to English yet

Le TDA/H : mieux le connaître et l'apprivoiser

Illustration: Salomé Sellouk

Agnès C. est psychiatre spécialisée dans l'aide aux adultes portant un TDA/H (Trouble du Déficit d'Attention avec ou sans Hyperactivité), trouble souvent réduit à la notion d'hyperactivité. Dans cette interview exempte de jargon médical vertigineux, elle explique à quoi correspond ce trouble, et surtout, elle donne plein d'astuces pour mieux gérer son quotidien et profiter des atouts que peut donner le TDA/H... eh oui, parce qu'il y en a plusieurs !

 

Cette interview a été éditée pour plus de clarté et de concision.

 

Insane mag : Le TDA/H, c’est ce qu’on connaît plus souvent sous le terme réducteur d' “hyperactivité” et que beaucoup de gens traitent de “maladie à la mode” ou de “psychiatrisation à l’américaine d’enfants qui sont juste en forme”. Est-ce que c’est un trouble nouveau ?

 

Agnès : Non, pas du tout, c'est juste un trouble qui est mal diagnostiqué dans les pays latins par rapport aux pays anglo-saxons et nordiques, voire même asiatiques. C'est en fait l'une des pathologies les plus fréquentes dans le monde : 8 à 10% des enfants en seraient atteint·e·s, et 4 à 5% des adultes (ainsi, le TDA/H ne persiste pas forcément à l'âge adulte : mais si c'est le cas, c'est pour la vie !).

 

Insane mag : Étant donné qu’il y a de plus en plus de personnes diagnostiquées comme portant ce trouble, est-ce qu’on peut penser que quelque chose (pollution, mauvaise nutrition, lien social défectueux…) dans notre monde actuel le déclenche plus qu’avant ?

 

Agnès : Non, c'est simplement que ce trouble est aujourd'hui mieux diagnostiqué, et mieux distingué de troubles tels que la dépression, le trouble de la personnalité borderline ou les troubles bipolaires, qui constituaient souvent de faux diagnostics et sont aujourd'hui connus pour être en réalité, avec les trouble anxieux, des comorbidités fréquentes du TDA/H. Il existe même un trouble anxieux spécifique au TDA/H, qui n'est en fait pas vraiment un trouble en lui-même mais simplement le résultat du fait d'avoir 15 000 idées en tête à la fois.

 

Insane mag : Est-ce qu'il existe un marqueur biologique du TDA/H ?

 

Agnès : C’est en effet un trouble neurologique plus que psychiatrique : il existe des imageries cérébrales qui montrent une évidence d’un fonctionnement cérébral différent. Il y a aussi clairement une composante génétique. Enfin, les personnes portant un TDA/H ont aussi tendance à se mettre en couple avec d’autres personnes porteuses du TDA/H, sachant que ça donne des enfants avec 3 chances sur 4 d’avoir un TDA/H. D'ailleurs, pour un·e enfant avec TDA/H, il y a 1 chance sur 2 pour chaque parent d’avoir un TDA/H également.

 

Insane mag : Concrètement, comment fait-on pour différencier une personne qui a simplement la pêche ou qui est distraite d’une personne avec TDA/H ?

 

Agnès : Pour commencer, l'appellation Déficit d'Attention n'est pas très bonne, il s'agit en fait plutôt d'un type d'attention différent que d'un déficit à proprement parler. Ainsi, l'attention sera faible pour ce qui n'intéresse pas l'individu, mais son attention sera particulièrement efficace lorsqu'il s'agira d'un sujet qui passionne la personne.

Ensuite, on peut évidemment remplir un questionnaire dédié, pour les adultes par exemple il y le DIVA 2.0, pour les enfants on trouvera des questionnaires à remplir par les parents ou les enseignant·e·s (plusieurs questionnaires et ressources disponibles en français ici et ). Mais peu importe le résultat obtenu, il faudra impérativement faire analyser les réponses au(x) questionnaire(s) par un·e spécialiste du TDA/H pour accéder à un véritable diagnostic.

De façon intéressante, le traitement peut faire diagnostic : en effet, les médicaments pour TDA/H donnés à un·e personne portant effectivement le trouble auront pour effet de l'apaiser, alors qu'ils auront un effet excitant sur une personne non concernée.

Le fait d'être agité·e ne suffit pas pour autant à diagnostiquer un TDA/H ; les problèmes d'attention comptent énormément : chez les enfants scolarisé·e·s par exemple, on remarquera beaucoup de fautes d'étourderie, une tendance à oublier ses affaires ou de faire ses devoirs... Chez les adultes, ce seront des personnes qui oublient systématiquement leurs codes de carte bancaire ou leurs mots de passe, des gens toujours en retard (à cause d'une mauvaise évaluation et donc d'une mauvaise gestion du temps) et qui oublient leurs rendez-vous, ou encore des personnes avec de gros problèmes administratifs (car la tâche n'est pas intéressante, sans parler du fait qu'il faut souvent la découper en plusieurs petites tâches, ce qui est très difficile pour une personne avec TDA/H)... Ceci étant dit, on peut passer complètement à côté du diagnostic de TDA/H chez beaucoup d'adultes qui ont d'office mis en place des stratégies de compensation et qui sont du coup des personnes très ordonnées, très organisées.

Enfin, l'impulsivité est une caractéristique très présente chez les personnes portant un TDA/H : verbale (parler sans réfléchir, dire des choses inadéquates, avec une franchise qui peut être problématique), sexuelle, alimentaire (beaucoup d'hyperphagie en co-morbidité)...

Pour détecter un TDA/H, on peut également s'intéresser aux co-morbidités ou à certaines caractéristiques : la recherche d'activités sportives extrêmes, par exemple, ou les problèmes d’addictions. C'est pour cela aussi que l'on retrouve beaucoup de personnes portant un TDA/H dans les métiers où l'adrénaline est forte : pompiers, urgentistes... ou que les personnes ont tendance à réviser leurs examens la veille : l'urgence déclenche une sécrétion de dopamine. Chez les personnes portant un TDA/H, le circuit de la récompense est perturbé : chez une personne non concernée, quand elle s’apprête à faire une tâche ennuyeuse, le cerveau sécrète de la dopamine en anticipation, pendant que la tâche est en train d’être faite. Chez une personne concernée par le TDA/H, la dopamine n’arrive qu’à la toute fin puisque la personne n’aura pas identifié les sous-tâches, même si celles-ci ont été accomplies. Cela peut ainsi mener à une procrastination d'un niveau pathologique.

 

Insane mag : Quand on écrit TDA/H, on met désormais un slash avant le H d’hyperactivité : pourquoi l’hyperactivité n’est-elle pas un trouble à part de celui de déficit d’attention ?

 

Agnès : Probablement parce que les mécanismes neurologiques sont les mêmes (problème de dopamine et d’adrénaline) et la prise en charge est la même : on a un peu des signes des deux de toute façon.

 

Insane mag : Est-ce que les TDA/H sont un trouble inhérent à la personne (comme on naît avec une malformation par exemple) ou est-ce que ça peut “se déclencher” à n’importe quel moment de la vie, un peu comme un cancer ou une dépression ? Est-ce qu’il y a un lien avec une quelconque substance, exposition à un·e virus ou bactérie ou quoique ce soit d’autre de plus ou moins “évitable” ?

 

Agnès : Ce qui est sûr, c'est que le TDA/H se déclenche tôt dans l'enfance. Le contexte dans lequel la personne grandit a peut-être une importance : par exemple, on retrouve souvent un contexte familial compliqué, avec un·e parent portant un TDA/H ou avec des parents qui prêtent peu attention à leur enfant ou ont tendance à beaucoup le/la réprimander...

 

Insane mag : Est-ce qu’on guérit d'un TDA/H, par exemple si c’est pris en charge assez tôt ? Est-ce que ça s’améliore naturellement en devenant adulte ?

 

Agnès : En grandissant cela peut nettement s'améliorer, surtout si des stratégies de compensation sont mises en place. La moitié des enfants en guérissent, mais si cela persiste à l'âge adulte, c'est pour la vie.

 

Insane mag : À quoi ressemble cette prise en charge du TDA/H, justement ?

 

Agnès : Les médicaments sont une solution très efficace. Au-delà, il y a plusieurs stratégies à mettre en place.

Pour arriver à l'heure, par exemple, il faut mettre un réveil pour chaque rendez-vous, calculer la veille le temps de trajet, ajouter 10 minutes de battement de sûreté, et surtout se focaliser non pas sur l'heure de rendez-vous mais sur celle du départ.

Pour le rangement, la méthode Marie Kondo est exemplaire : il s'agit d'une approche de rangement simplifiée, minimaliste (il faut savoir que les personnes avec TDA/H ont tendance à accumuler beaucoup d'objets). L'idéal est de tout ranger à la verticale (cela évite que cela ne se dérange trop facilement) et d'étiqueter un maximum. Et puis il faut utiliser beaucoup de codes couleurs (car les personnes portant un TDA/H y sont très sensibles) ! Un exemple simple : ranger les collants par couleur dans une boîte en tissu avec un sticker de la bonne couleur dessus.

Il faut évidemment apprendre aux personnes avec TDA/H à utiliser un agenda, tout le temps et pour tout, et leur apprendre de manière générale des compétences d'organisation, de priorisation et de compartementalisation.

Une bonne hygiène de vie est également essentielle : il a été déterminé qu'une heure de sport égalait à un comprimé de Ritaline. Certaines personnes portant un TDA/H le gèrent uniquement en faisant beaucoup de sport ! Et on trouve d'ailleurs beaucoup de porteurs et porteuses de TDA/H parmi les sportifs et sportives. Dans la même idée, l'alimentation est très importante (trois repas par jour, un apport protéiné important dès le matin, augmenter les apports en Oméga-3...). Enfin, une personne sur deux ayant un TDA/H a une pathologie du sommeil associée : syndrome des jambes sans repos, apnée du sommeil... Sans parler du fait que ces personnes ont tendance à avoir un défaut de sécrétion de mélatonine (plus tardive), ce qui les décale. Une prise en charge à ce niveau est donc nécessaire, avec un rythme de coucher et de lever régulier, une extinction des écrans 2 heures avant le coucher et une supplémentation systématique en mélatonine.

 

Insane mag : Concrètement, qu’est-ce qu’une personne avec un TDA/H peut mettre d'autre en place au quotidien pour rendre sa propre vie plus facile ? Connais-tu des applications mobiles qui peuvent être utiles, par exemple ?

 

Agnès : Oui, je peux recommander Evernote, qui est une application permettant de stocker des notes sous toutes formes (écrites, dessins, audios, photos, pages web...) et Dashlane qui permet de stocker de façon totalement sécurisée mots de passes et coordonnées bancaires, avec une fonction de synchronisation sur tous appareils et une fonction de remplissage automatique.

Il faut également user et abuser des Favoris, qui permettent de mémoriser des pages web, faire des Listes d'achats (sur Evernote ou sur les sites de vente préférés), utiliser évidemment toutes les fonctions de rappels possibles, et mettre en place des virements automatiques pour les paiements récurrents.

Pour les réveils difficiles (c'est très souvent le cas), il existe le réveil sautant Clocky ou des applications de réveils avec casse-têtes.

Enfin, pour garder un oeil sur le temps et mieux le gérer, on peut utiliser un minuteur de cuisine ou sur ordinateur.

 

Insane mag : Concrètement, qu’est-ce que les proches peuvent faire au quotidien pour aider une personne avec un TDA/H ?

 

Agnès : L'idéal est d'adopter une posture compréhensive et d'humilité, de se renseigner sur le trouble et d'avoir toujours une approche qui laisse le bénéfice du doute ou qui pose la question "quelle est la détresse, quel est le besoin ?". Il faut apprendre à connaître les situations qui posent régulièrement problème à la personne, et se montrer patient·e. Enfin, penser à ne pas laisser trop de désordre dans le lieu de vie et/ou de travail de la personne, car cela aura tendance à la déconcentrer et l'embrouiller.

 

Insane mag : À qui s’adresser si on pense avoir un TDA/H ?

 

Agnès : Je recommande de s'adresser à des associations plutôt qu'à des médecins directement, car le risque est toujours de tomber sur un·e psychiatre qui "n'y croit pas". [Il y a par exemple l'association HyperSupers TDA/H France, ndlr].

 

Insane mag : Quelque chose à rajouter ?

 

Agnès : Il faut savoir qu'aujourd'hui, on commence à considérer le TDA/H moins comme une pathologie et plus comme un fonctionnement neurologique différent de la majorité des gens. D'où le fait que cela s'accompagne de "super pouvoirs" (si la personne arrive à considérer son TDA/H comme une force, et qu'elle est bien entourée) : la capacité à trouver des solutions innovantes à des problèmes complexes (et ce très rapidement), une très forte empathie, l'hyperfocalisation (qui fait que la personne peut se concentrer beaucoup plus longtemps que la population typique si le sujet la passionne), le fait d'être très fonctionnel·le dans l'urgence... Il y a même des entreprises aux États-Unis qui recrutent spécifiquement des personnes avec TDA/H ! On pense également à des célébrités ayant un TDA/H : Steve Jobs, Jim Carrey, Avril Lavigne, Elliott Page, Adam Levine, Emma Watson, Jamie Oliver... et bien d'autres !

 

 

Aller plus loin

  • Une vidéo d'un acteur canadien parlant de son TDA/H

 

  • Un TedX sur le sujet

 

 

 

 

 

An open-letter to psychiatrists
Axel and alcohol: a story of life and death