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"Spleen", un podcast entier dédié à des témoignages bouleversants sur la maladie psychique

Illustration: Julie K.

Silence. Une voix se fait entendre, celle d'une personne anonyme. La souffleuse, nom originel donnée à la personne qui susurre aux acteurs de théâtre la phrase oubliée et alias Lorine Le Louvier, invite les participant·e·s à dévoiler sans filtre leur expérience de la maladie psychique. Ce podcast comporte 4 créations sonores sur les thèmes de la dépression, de la bipolarité et sur celui peu connu du TOC de la pensée magique. L'instigatrice de ces créations, elle-même passée par la psychiatrie, nous propose d'entendre les récits de cinq femmes et d'un homme ayant connu des épisodes de vie bouleversants.

Il n'y a pas de place pour le tabou et l'expérience y est pure, déchargée d'éventuelles considérations pudiques.

L'accompagnement sonore réalisé amplifie les émotions dégagées par l'écoute de ces récits aussi déroutants qu'authentiques. Attention, il est préférable d'avertir la personne qui écoute que ceux-ci sont parfois crus et durs à entendre. C'est ce qui fait leur force : il n'y a pas de place pour le tabou et l'expérience y est pure, déchargée d'éventuelles considérations pudiques.

 

Une structure chronologique

L'internaute y découvre comment ces troubles se sont mis en place au fil du temps en passant parfois par la petite enfance, la relation aux parents et comment ces troubles se sont développés atteignant une apogée à un moment de leur vie où il a fallu prendre de rudes décisions. Ces dernières ont parfois été un mal pour un bien. En effet, bien que laissant une trace indélébile, elles ont permis aux personnes interrogées de s'en sortir grâce à de valeureux proches ou grâce à un soutien médical omniprésent.

 

Dans l'épisode sur la bipolarité, les mots des témoignant·e·s débutent sur l’arrivée des premiers symptômes, ce qui plonge d’entrée de jeu l’internaute dans l’ambiance pesante que représente l’apparition d’une maladie psychique. Ces personnes racontent : "je suis née dans une bonne famille. Tout coulait pour moi […] et ça a dégénéré quand j’ai découvert le poids et le stress des études […] du coup ça a commencé à 18 ans" pour l’une alors que pour l’autre "ça a commencé suite à un licenciement difficile". Dans ces deux cas, il a fallu un détonateur qui a précipité les choses. La dernière participante, elle, prend de la hauteur dès le début: "la bipolarité c’est se découvrir une double personnalité et qu’il y a une partie de soi-même qui nous est complètement étrangère [...] c’est Dr Jekill et M.Hyde".

Bien que laissant une trace indélébile, ces rudes décisions ont permis aux personnes interrogées de s'en sortir grâce à de valeureux proches ou grâce à un soutien médical omniprésent

Vient ensuite le pic de la maladie et l’errance qui s’ensuit. Dans cette pathologie, les personnes souffrent de poussées maniaques pendant lesquelles elles peuvent devenir hors de contrôle. Parfois c’est une "libération mentale [...] J’étais désinhibé. A ce moment-là je pouvais partir voyager en Europe avec mon sac […] J'ai même vécu dans la rue en Europe de l’Est. Même s’il y avait énormément de danger, je n’avais aucune conscience de ça". La retombée en phase dépressive peut alors être extrêmement rude.

"Même s’il y avait énormément de danger, je n’avais aucune conscience de ça"

Les témoignages se poursuivent avec les premières visites chez un·e médecin et les tentatives parfois infructueuses de comprendre ce trouble installé ou couvé depuis longtemps comme chez cette femme "Des psychologues ont cherché à comprendre ce qui se passait mais j’étais insaisissable, c’est-à-dire que je me renfermais complètement sur moi-même". La maladie rend la vie insupportable comme pour cette jeune femme qui va commencer à prendre des drogues dures en phase maniaque et à faire des tentatives de suicide qui sont autant "d’appels au secours" selon elle.

Il est facile d’être totalement happé·e par la sincérité des témoignages bien que ceux-ci soient crus. La musique qui accompagne les récits donne du relief aux émotions que cela peut générer, rendant parfois le récit même insoutenable lorsque l’une des personnes dit "A l’école ça n’allait pas, à la maison ça n’allait pas, à l’hôpital ça n’allait pas…" et que la musique devient angoissante.

La musique qui accompagne les récits donne du relief aux émotions.

Finalement les témoignages s’achèvent sur les méthodes utilisées par chacun·e pour apprendre à vivre avec la maladie. Grâce à la sensualité des voix choisies, du récit à la fois cru et bluffant et de la musique, il est possible de mieux saisir leur combat.

Des parcours du combattant extrême

Dans l'épisode sur la bipolarité toujours, la toxicomanie, les tentatives de suicide, les fugues à répétition, les traitements qui ne marchent pas et les hospitalisations à répétition finissent par rendre tout espoir de guérison impossible. Ceci achève de planter le décor parfois noir mais tellement authentique de ces témoignages. De plus, s’il y a une émotion qui prime à certains moments, c’est bien la peur qu’ont ressentie les trois personnes interrogées : "à partir du moment où tu vis un moment hypomaniaque, tu rentres dans le cadre de la bipolarité. Je savais pas du tout ce que c’était et ça fait très peur".

"A partir du moment où tu vis un moment hypomaniaque, tu rentres dans le cadre de la bipolarité. Je savais pas du tout ce que c’était et ça fait très peur"

Encore une fois, ces témoignages sans filtre, sans retenue ne ménagent pas la sensibilité de celui ou celle qui écoute, le courage des personnes en est rendu d’autant plus fort.

La force de témoigner sur des maladies taboues

Les maladies psychiques sont mal reconnues, voire taboues. Pour l’instant le calcul collectif choisi est simple : ça passera comme ça. Le sujet est « mis sous le tapis » en attendant que quelqu’un de courageux en parle à l’instar des personnes qui témoignent dans ce podcast. La stigmatisation est d’ailleurs évoquée dans la plupart des épisodes. En effet, si le fait de pouvoir mettre un mot sur des troubles est rassurant au départ, cela reste une étiquette lourde à porter alors même que 1 personne sur 5 en France risque d’être touchée par un trouble psychique, encore plus avec la crise sanitaire actuelle.

1 personne sur 5 en France risque d’être touchée par un trouble psychique, encore plus avec la crise sanitaire actuelle.

Le modèle du témoignage a ceci d’avantageux qu’il permet de toucher du doigt le courage nécessaire pour se sortir de pathologies lourdes. Celui-ci est d’autant plus fort que le poids du tabou pèse sur les épaules des personnes concernées. Il est possible de se demander comment ces personnes trouvent encore la force de témoigner après des combats dans lesquels elles auraient pu y laisser la vie, et toute leur énergie. Ceci permet aussi de faire tomber les vieux clichés comme « les personnes dépressives n’ont pas de courage », « les bipolaires ne sont pas fiables, ce sont des méchants » pour paraphraser une témoignante.

Différents moyens de s'en sortir, différentes vérités

Les personnes souffrant de bipolarité semblent s’être néanmoins tirées d’affaire grâce notamment au recul qu’elles ont acquis sur la maladie, recul qui leur permet aujourd’hui de témoigner. Chacun·e s’en est "sorti·e" différemment, mot à utiliser avec prudence car selon l'un des trois interviewé·e·s "T’as pas de guérison dans cette maladie. Tu prendras des médicaments toute ta vie. Le traitement va te stabiliser mais va aussi te bloquer des moments de bonheur". Le chemin est encore donc long mais ce qui est frappant dans leurs mots est que chacun·e a été, dans la tourmente, invité·e à y trouver sa vérité, ses propres moyens d’apaiser la pathologie.

"T’as pas de guérison dans cette maladie. Tu prendras des médicaments toute ta vie. Le traitement va te stabiliser mais va aussi te bloquer des moments de bonheur".

Si le combat est noble, il n’en demeure pas souhaitable pour autant. Il est estimé que 1,6 millions de personnes souffrent d’un trouble bipolaire en France. Encore faut-il donner des outils aux personnes atteintes pour qu’elles puissent trouver des moyens de se rasséréner. Pour leur donner ces outils si précieux, encore faut-il qu’il y ait une réponse, un débat et aussi des actions collectives. Peut-être que les chèques psys débloqués par M. Macron, actuel président de la République française, sont un début de réponse ? Pourtant la demande n’est pas hors de portée car l'une des témoignantes dit avoir trouvé un semblant de paix en écrivant un livre sur son parcours personnel, ce qui n’aura nécessité, au-delà bien sûr du courage et du recul indispensable, que du papier et un stylo…

 

La notion de rétablissement non évoquée

L’internaute ne manquera pas de relever que ce podcast, bien que terriblement authentique, n’en demeure pas moins pessimiste. En effet, les témoignages relatent avec brio les affres de la maladie psychique mais c’est au prix de la notion de rétablissement complètement oubliée ici. La musique achève de donner un côté presque noir aux paroles des participant·e·s comme si la maladie psychique était quelque chose d’intrinsèquement négatif.

Les témoignages relatent avec brio les affres de la maladie psychique mais c’est au prix de la notion de rétablissement.

Or la maladie psychique peut aussi être, selon moi, le début d’un beau chemin de vie pourvu que la souffrance qu'elle engendre soit fortement amoindrie. Elle force en effet à se poser les bonnes questions et à enfin apprendre à se respecter. Comme dans toutes les difficultés, même si celles-ci ne sont pas souhaitables pour autant, la personne concernée développe des facultés qui auront des répercussions positives dans d’autres domaines de sa vie. Cependant il est vrai que ne pas être stabilisé·e, virevolter un coup en bas, un coup en haut, sont des freins indéniables au bonheur. Un bon traitement, une hygiène de vie appropriée et surtout demander de l’aide quand il le faut sont autant d’éléments non exhaustifs pour passer le cap de la souffrance et enfin avoir une vie meilleure.

Comme dans toutes les difficultés, même si celles-ci ne sont pas souhaitables pour autant, la personne concernée développe des facultés qui auront des répercussions positives dans d’autres domaines de sa vie.

Au final, le vécu de ces personnes a trois effets positifs. Premièrement cela permet de libérer la parole. Cela conduit aussi à aider les individus malades en leur montrant qu’une troisième voie est possible même si la capacité à construire son bonheur peut être sévèrement endommagée. Enfin des témoignages comme ceux-ci ont aussi un but informatif. Il n’en reste pas moins que pour que le feu de la déstigmatisation prenne il faut trois choses : 1. Un combustible, soit le témoignage qui doit donner de l’espoir à ceux et celles qui souffrent 2. Un comburant pour qu’il se propage, soit un média qui porte cette voix et 3. Un déclencheur qui ne doit pas reposer seulement sur la volonté des personnes mais aussi sur l’environnement qui peut faciliter la rencontre de ces trois éléments.

 

Aller plus loin

  •  Argos 2001 est une association nationale qui aide les personnes bipolaires et leurs proches à vivre avec leur trouble psychique en faisant de la psycho-éducatio
  •  L'Unafam est une structure qui accompagne et informe les proches des personnes touchées
  •  Comme des fous est une association parisienne qui recueille des témoignages de personnes vivant avec une maladie psychique
  • Vous pouvez trouver un témoignage sur Insane d'une personne vivant avec un trouble bipolaire  
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